Avis aux vautours avides de tragédies

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vautours la dépêche.frVous vous êtes précipités en Gironde après cet épouvantable accident qui a endeuillé des petites communes paisibles, entre bois et vignoble. L’information a été relayée quasi en temps réel dans le monde entier. La Gironde ? C’est où la Gironde ? un si joli nom, si évocateur de plaisirs divers… Mais oui, le Sud Ouest de la France, le vin, les grands vins français, la belle campagne comme celle qu’on nous montre durant le Tour de France, vous savez ! Vous avez donc atterri du monde entier, d’Europe bien sûr, mais aussi d’Amérique ou de Chine : la mondialisation du chagrin et de la fatalité s’accompagne pour certaines contrées lointaines, désormais d’exotisme.

Les gens de Petit-Palais-et-Cornemps voulaient célébrer leurs morts dans le respect et la dignité. Ceux des villages d’alentour sont venus, les chasseurs ont rendu un bouleversant hommage au cor de chasse, les amis et familles alliées ont serré les leurs dans leur bras. Quand la mort frappe à la porte d’une manière aussi violente, le clan des hommes se resserre sur son chagrin, apporte soutien et compréhension. Mais vous étiez là.

Vous avez atterri à Toulouse-Blagnac, si nombreux, plus de trois cents, une horde de charognards payés pour photographier le chagrin, mettre la fatalité et la douleur en scène, les familles sidérées transformées en figurants dans la séquence émotion d’un film catastrophe. Vous avez envahi les jardins des familles, essayé de briser le cordon que les gendarmes avaient mis en place pour protéger la cérémonie d’hommage aux victimes, l’un d’entre vous est monté sur une tombe du cimetière pour faire une plus belle photo.

Rien ne vous arrête, jamais, on le sait bien, et cela ne date pas d’hier. Je me souviens du témoignage du fils du guide René Payot mort quelques heures après le départ de la colonne de secours partie en direction de l’épave du Malabar Princess en 1950 (suite à mes recherches pour Fragments de vie après désintégration). Il racontait que les journalistes voulaient payer pour assister à la veillée funéraire de son père.

Les photos du drame et de la cérémonie se trouvent partout dans nos journaux et sur Internet, la médiatisation ne connaît aucune limite géographique, aucun frein moral. Ils sont là, les vautours de la souffrance, les chacals de l’information. Ils font leur travail, ils sont payés pour ça. Pour nous fournir, à nous les bien-pensants choqués par cette intrusion des journalistes dans ce drame terrible, notre dose d’images et de frissons. Des vautours, les photographes et journalistes arrivés en masse en Gironde ? Oui, bien sûr, mais nous faisons partie du second cercle, celui qui se tient en retrait de la curée et attend les reliefs du festin. Sans notre hypocrite indignation et notre vraie faim de sensationnel, sans notre avidité d’images fortes nécessaires à notre inquiétude fondamentale de notre sens de la vie, les volatiles avides de sang disparaîtraient. Mais c’est bien connu, les rapaces, vautours et faucons, ont plus de succès que les colombes.

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2 réflexions sur « Avis aux vautours avides de tragédies »

  1. saravati

    Je ne me sens pas faire partie de ce monde et cela fait longtemps que je n’ai plus la télé et que j’écoute la radio par intermittence, je ne suis pas sur Facebook. J’ai même des scrupules en voyageant dans des pays pauvres où je ne pourrais être qu’un voyeur de plus.
    Ma fille depuis qu’elle travaille dans un journal a acéré son regard et développé son sens critique.
    Parfois je me demande si je suis vivante au sens commun du terme, je ne suis pas indifférente à la souffrance mais j’estime qu’elle ne doit pas être un facteur de la société de consommation.
    Merci pour votre beau cri de révolte, il fallait que ce soit dit.

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Bien sûr que vous êtes vivante! Mais vous êtes lasse du cirque médiatique et de la manipulation générale. C’est tout à votre honneur! J’observe avec beaucoup de recul je l’espère la façon dont on nous formate et dont on veut nous obliger à réagir. Tous derrière le mouton de tête, cela ne date pas d’hier mais désormais les moyens sont terrifiants d’efficacité.

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