Lis blancs, photo d’Anaïs

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Je contemple les deux jolies fleurs de lis sur la table du salon, elles refusent de se flétrir comme un reproche pour mon ingratitude et elles semblent danser un sacré pas de deux, feuilles en mouvement théâtral comme si elles exécutaient un tango torride.

J’avais fait une promesse à Georgette, j’aurais fait tant de choses pour voir sourire ma vieille amie alors je pouvais bien me trouver dans la petite voiture brillant comme un sou neuf de sa fille, à observer Mathilde conduire comme si elle se trouvait au volant d’un tracteur. La coiffeuse avait un peu forcé sur la laque, une odeur sucrée envahissait le minuscule habitacle et me donnait mal à la tête.

Dans l’entourage de Mathilde on a dû croire qu’elle se rendait à un mariage : elle avait acheté une robe coûteuse et des chaussures neuves à talons aiguille qui me faisaient mentalement mal aux pieds. Ajoutez le brushing et personne n’aurait pu deviner qu’elle se rendait à un thé dansant pour troisième âge avec la meilleure amie de sa mère.

La dite amie commençait à se dire que l’héroïsme avait des limites lorsque nous sommes enfin arrivées à la salle de danse. Coin perdu dans la campagne, immense parking, la direction devait supposer qu’au-delà de soixante ans les anciens n’avaient plus de notion des distances… à moins que l’on serve autre chose que du thé dans ce fameux thé dansant.

Nous avons été accueillies par des flots d’accordéon et une vague de chaleur. Un jeune homme souriant nous a pris notre manteau et donné un ticket pour la première boisson avant de nous orienter vers une table. Atmosphère rosée due aux double-rideaux tirés sur la campagne grise, petites lampes rétros, sièges lie-de-vin et beaucoup, beaucoup de dames avec brushing. Elles nous ont regardées froidement. Surtout Mathilde, je dois le reconnaître. Malgré la choucroute sur sa tête, ses grands yeux bleus et son teint rosissant lui donnaient un air virginal. Un fringuant sexagénaire ? Septuagénaire ? En tout cas pas plus âgé est venu s’incliner devant Mathilde et adieu l’ordonnance de la choucroute, elle n’avait peut-être pas dansé depuis vingt ans la Mathilde, mais le spectacle était ravissant. Sa robe légère se soulevait et ses jambes superbes se laissaient voir plus que de raison, quant aux petites chaussures dorées, j’espérais qu’elles lui faisaient vraiment mal aux pieds car il n’était pas permis d’avoir des chevilles aussi fines.

J’étais stupéfaite. Tout du poisson dans son bocal découvrant l’étendue de la mer.

­— Pour vous, de la part du monsieur, là-bas…

Le serveur venait de me mettre une boisson devant le nez qui me semblait fort éloignée d’un jus de fruit bio. L’homme s’inclina en souriant. Bon, j’étais ravalée au rang de rabatteuse, il se positionnait pour danser avec Mathilde. Et cela a continué, les hommes se battaient pour m’offrir à boire juste avant le retour de Mathilde pendant que les autres femmes condamnées au thé me fusillaient du regard. Si Mathilde avait possédé un carnet de bal, il aurait fallu rajouter des feuilles, elle virevoltait au bras de l’un puis de l’autre pendant que l’alcool me rendait d’humeur de plus en plus gaie. Au bout d’une demie-heure il s’en est tout de même trouvé un pour m’inviter ; la nuit était tombée et le disc-jockey, soucieux de ne pas générer de crises cardiaques parmi sa clientèle, venait d’abandonner les paso doble et les valses. Les seniors désormais portés à la romance calmaient leur palpitant mais pas leurs ardeurs avec des rythmes plus à leur portée. Ah ce slow, mes amis, quel moment ! Jamais eu aussi chaud de ma vie ! C’est qu’il me serrait fort, l’animal, ses mains faisaient l’ascenseur dans mes reins et je sentais même un petit durcissement un peu en-dessous de la ceinture, un « sentiment » a murmuré cette hypocrite de Mathilde qui a expérimenté la même chose avec ses cavaliers et faisait sa sucrée.

Lorsque nous sommes parties le patron nous a assuré que ce serait gratuit pour nous la prochaine fois. Il y avait foule pour ouvrir les portes de la petite voiture rouge de Mathilde et mon cavalier du soir, galant, avait volé sur une table deux fleurs de lis blanc pour me les offrir en même temps que sa carte de visite. Mathilde a démarré en faisant crisser les pneus, histoire d’offrir un dernier feu d’artifice à ses soupirants d’un soir.

Deux fleurs de lis qui dansent sur la table du salon avec leurs feuilles effilées comme des langues de belle-mère. Des lis blancs ! Quel à propos ! Le symbole de la virginité, de l’innocence et de la pureté pour une vieille arnaqueuse !

Loulou et Aurélie sont mortes de rire, je viens de leur raconter notre première expédition, à Mathilde et moi dans le monde de la drague du troisième âge.

­­— Tu vas l’appeler, ce galant homme plein de sentiments ? me demande Aurélie en tenant la carte de visite.

­­— Tu plaisantes ! Un homme qui m’offre des lis blancs, même s’il n’avait rien d’autre sous la main, c’est très mauvais signe pour la suite…

­­— Et pourquoi ?

­­— Parce qu’offrir des lis blancs signifie que ses sentiments sont purs… Soit c’est un grand menteur soit c’est une réalité physiologique qu’il essaie de m’annoncer délicatement ; je me trouve trop jeune pour passer mon temps à tenir la main d’un homme. La pureté je me la réserve pour le quatrième âge, ce sera bien assez tôt, tu ne trouves pas ?

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