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En immersion, oeuvre d’un noir lumineux

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Qui n’a pas vu la mini-série de Philippe Haïm, En immersion, sur Arte jeudi soir ? Qui n’est pas resté fasciné, glacé, bouleversé devant cet OVNI qui a autant de rapport avec une série policière télé française qu’un oratorio de Bach avec une chanson de Céline Dion ? Ce que nous avons découvert sur notre écran, ce jeudi 7 janvier 2016, je crois qu’on peut le qualifier de chef-d’œuvre. Un mélange si intime de beauté, de cruauté, de tendresse et de solitude, d’abstraction et d’humanité, de musique et de silence, que l’on ne saurait démêler ce qui nous a le plus touché dans cette mini-série qui ne connaît aucune baisse de régime dans la tension permanente des trois épisodes. Quant aux acteurs, tous les acteurs de cette tragédie contemporaine, ils sont tout simplement hallucinants de vérité humaine.

En immersion raconte l’histoire d’un policier qui infiltre un réseau de trafiquants de drogue particulièrement pervers et dangereux. Vous avez déjà vu ça mille fois ? Grossière erreur. Jamais vous n’avez été plongé dans un univers aussi noir, aussi désespéré et aussi beau. Incroyablement beau. D’un graphisme et d’une musique dont les silences même vous collent à l’âme.

Le titre est sidérant de justesse : cette immersion est le thème, la basse continue de cette œuvre tragique :

immersion2Tu vas te noyer en toi-même, dit la femme médecin (et accessoirement ex-épouse) à Michel Serrero, policier fatigué et méprisé par ses collègues. Michel est atteint d’une tumeur au cerveau, il élève seul sa fille Clara. Il va mourir dans moins de six mois, atteint d’hallucinations diverses. Cauchemars récurrents, hallucinations d’un graphisme confinant à l’œuvre d’art, plongée dans une eau noire dont les bulles d’air, blanches, rondes, brillantes, sont comme autant de ballons ricanants remontant à la surface.

Plongée dans l’angoisse, la souffrance, la solitude. L’humiliation également. Les personnages principaux partagent les mêmes difficultés de vivre, à part les trafiquants. Clara est humiliée par le garçon dont elle est amoureuse, Quentin, transformée en pantin et en junkie, désorientée par ce père qu’elle aime et qui lui cache trop de choses. Soudoumbé, le jeune Malien qui avait tant rêvé à la France, se retrouve esclave des trafiquants. Quant à celle que ses collègues surnomment « la reine », la couveuse qui materne les flics en immersion dans les milieux de la drogue, elle tente désespérément d’adopter un enfant, humiliée par cette sorte de tribunal qui la juge et qui possède le pouvoir de lui donner cet enfant tout comme elle possède le pouvoir de donner un rôle à tel ou tel policier.

Jeux de miroirs, omniprésents dans la série, qui se fissurent en forme de réseau hydraulique ou de réseau sanguin dans les hallucinations de Michel.

Seuls échappent apparemment à cette désespérance et à cette fragilité Guillaume Leanour, le trafiquant ultra-violent et sans scrupules, jeune bourgeois pervers dont le double adolescent, Quentin, le garçon dont Clara est amoureuse et qui l’a initiée à la drogue, semble prêt à prendre le relais du premier dans le trafic, tant il est vrai que l’exploitation du désarroi semble ne jamais connaître de fin.

Les personnages sombrent dans cette tragédie classique en trois parties et le visage de Clara devient lunaire, grands yeux perdus, cernés d’immenses ombres que l’on devine violettes dans ce film en noir et blanc.

Choix magnifique de Philippe Haïm que ce noir et blanc des plus belles photographies. Choix glaçant de ce blanc obsessionnel de la salle de shoot miroir de l’hôpital, noir et blanc et graphisme de la ville de Paris, lieu de solitude, nuits de pluie aux reflets brillants, hôtel sordide où planque Michel. Rien de gratuit dans cette beauté abstraite, plutôt une corrélation intime des images, de l’atmosphère et des personnages. En filigrane, cette jeunesse perdue que l’on manipule comme une marionnette, les difficultés de communication et la musique de la souffrance, et les silences.

Dans ce noir si profond, après une scène à la Tarentino, une éclaircie, une remontée vers la surface : Soudoumbé veut retourner au Mali. Quant à la Reine, elle renonce à adopter un enfant, mais il y a tant d’enfants à sauver, lui dit une des femmes du jury d’adoption. La suite et fin, pleine d’une amère douceur, je vous la laisse découvrir si ce n’est déjà fait.

 

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