Certains d’entre vous m’ont fait le reproche suivant : je ne publie plus grand chose en ce moment. C’est exact. Ce n’est pas que je ne lise pas, mais je n’ai plus envie d’analyser, proposer, c’est comme si l’enthousiasme était inversement proportionnel avec la montée du Covid-19 qui envahit notre vie.
À ce sujet, j’ai décidé de me secouer un peu et de vous proposer, amis lecteurs, amies lectrices, un atelier d’écriture qui durera le temps de notre confinement à tous. Et où nous trouvons-nous souvent ? Dans notre chambre ! Cela a déterminé ma première proposition d’écriture destinée en priorité à mes concitoyens de Pers-Jussy, et à toute personne qui a envie d’écrire et d’affiner son regard sur ce qui l’entoure.
Proposition numéro un : inventaire de ma chambre
Je devine votre perplexité, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire ? Pour vous débloquer, je vous propose un exemple tiré d’un texte de Georges Perec :
Il y avait du linoléum sur le sol. Il n’y avait ni table, ni fauteuil, mais peut-être une chaise sur le mur de gauche : j’y jetais mes vêtements avant de me coucher ; je ne pense pas m’y être assis : je ne venais dans cette chambre que pour dormir. Elle était au troisième étage de la maison, je devais faire attention en montant les escaliers quand je rentrais tard pour ne pas réveiller la logeuse et sa famille.
Comme un mot ramené d’un rêve restitue, à peine écrit, tout un souvenir de ce rêve, ici, le seul fait de savoir (sans presque même avoir eu besoin de le chercher, simplement en s’étant étendu quelques instants et ayant fermé les yeux) que le mur était à ma droite, la porte à côté de moi à gauche (en levant le bras, je pouvais toucher la poignée), la fenêtre en face), fait surgir instantanément et pêle-mêle, un flot de détails dont la vivacité me laisse pantois.
Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974
Attention, proposition n’est pas imitation ! Soyez naturels, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, les premières phrases que vous écrirez seront brèves, nous sommes dans un inventaire, ne l’oubliez pas ! Nous ferons plusieurs exercices de ce genre si cela vous convient, avant de nous lancer dans des approches plus personnelles du texte.
Pour vous aider, toujours, posez-vous les questions suivantes : la nuit ou le jour ? les meubles ou les objets ? l’été ou l’hiver ? ce qui est visible ou ce qui est caché ? Ce qu’on voit de la fenêtre ? les bruits de la journée quand on y est, les bruits du dimanche, de la nuit… Les détails qu’on ne voit plus depuis longtemps (défauts du sol, inventaire des objets fixes, poignées de la porte et de la fenêtre, organisation du placard). Les fissures au plafond et le monde qu’on y crée. Tout ce qui fait que c’est notre chambre et pas une autre.
Précision importante: rien de ce qui est privé ou indiscret ne doit traverser le texte !
voila !
Une jolie moquette bleue se remarque en premier. Pas n’importe quel bleu-moquette-passe-partout de qualité inférieure vendue en grande surface débitée au kilomètre. Non. Un bleu égyptien, uni, unique, un bleu qui annonce une nuit paisible d’un ciel étoilé de rêves.
Sur le mur, face au lit, deux grandes photos réalisées et agrandies par le maître des lieux. Une barque de pêcheurs colorée d’éclats du soleil, photographiée en contre-plongée, comme si on n’y était prêt à s’embarquer pour une nuit intense et travailleuse. L’autre montre l’océan. Un autre choix possible, partir pour une course lointaine en solitaire, à moins que ce ne soit pour une de ces croisières qui se veulent culturelles et historiques au risque d’être soporifique. Ça tombe bien, on est là pour la nuit.
Un grand lit qui n’attend que vous. Chacun vivra ce qu’il a envie. Rêvasser, dormir, s’adonner à des plaisirs divers et variés. Au choix.
Une grande porte-fenêtre occupe tout un mur, face à la porte d’entrée, à droite du lit. Qui dit porte-fenêtre dit rez-de-chaussée, qui dit rez-de-chaussée dit jardin, qui dit jardin dit pelouse, fleurs et massifs. On profitera de la vue si on est couche tôt ou lève tard, selon la saison.
Derrière le lit, des rayonnages de bibliothèque pour nuits d’insomnies ou réveils trop matinaux. Des tiroirs pour ranger ce que l’on ne montrera pas. Peut-être parce que c’est intime ? Non, pas forcément des accessoires à plaisir, mais peut-être chaussettes, slips, culottes, lingerie fine pour soir de fête ou d’anniversaire, vieilles revues, bricoles sorties des poches et abandonnées, vieil agenda, récompense d’un don caritatif qui aurait dû être le réceptacle des dates d’anniversaire des membres de la famille proche et lointaine.
Après ce rapide tour d’horizon, il ne reste plus qu’à éteindre la lumière.
Bonne nuit !
Superbe texte; on visualise très bien les lieux, leur aspect à la fois paisible et rassurant: un vrai cocon où se ressourcer en attendant que le jour revienne.
Bravo!
et on fait quoi de notre éventuelle production ?
On la met sur mon blog, après l’exercice du jour, dans les réponses.