Archives de catégorie : Nouvelles

Mes écrits qui ne sont pas dans la catégorie Livres.

La Belle au Bois dormant s’est réveillée

Shares

Charmant arrive tout essoufflé au bas de l’escalier du château. Il n’en peut plus, maudites ronces, il collerait bien une amende au propriétaire, les risques d’incendie, il ne connaît pas ? Son cheval a refusé de l’accompagner, Charmant a chaud, soif, il est de mauvaise humeur :

— Holà de la maison, que l’on m’apporte un breuvage sur le champ !

Il rêve d’une cervoise bien fraîche apportée par une accorte servante. Personne ne répond à son impérieuse demande. Diantre, il n’y a donc personne dans cette gentilhommière ? Il s’avance, subjugué par le luxe de l’immense et silencieuse demeure. Soudain il s’illumine : il se trouve dans le château de la Belle au Bois dormant, ce que lui racontait sa nourrice n’était donc pas une histoire à dormir debout ! Continuer la lecture

Shares

Le couple de l’hôtel

Shares

Depuis trois jours que nous sommes en vacances, tous les matins, j’entends un bruit régulier sur le carrelage du couloir, un son mat qui résonne dans ma tête ensommeillée.

Et voilà que, au retour du petit déjeuner, ils s’avancent dans notre direction, le géant et sa minuscule compagne. La main gauche de l’homme agrippe l’épaule de sa femme, et de la droite il serre sa canne de toutes ses forces. La canne. Pas encore apprivoisée, maladroite, hasardeuse. Le fragile colosse avance comme si chaque pas était une victoire douloureuse.

Designed by Freepik (www.freepik.com)

Au moment de nous croiser aucune salutation, pas de sourire poli, la femme garde obstinément les yeux devant le sol, attentive à chaque pas de son compagnon, à chaque obstacle possible. Elle jette à voix basse en italien des consignes que nous ne comprenons pas mais qui sont très claires : fais attention à ce que tes jambes ne s’emmêlent pas, tiens ta canne bien droite. L’angoisse de la chute.

Ils avaient été très beaux, ils le sont encore, mais la pitié et l’effroi devant les ravages du temps ont remplacé l’admiration et peut-être la jalousie. Il était grand et fort, tous les attributs de l’homme protecteur de sa frêle compagne avant l’effondrement et la dépendance.

L’homme nous fixe, nous happe, nous projette le désespoir de ses yeux très bleus : regardez ce que la cruauté du temps et de la maladie a fait de moi. Ce qu’elle peut faire de vous.

Shares

Viviane et Nicolas

Shares

« Viviane et Nicolas ». Je crois que j’ai toujours prononcé leurs prénoms d’une traite, sans virgule, sans souffle entre les deux tellement ils ne faisaient qu’un.

Nous nous sommes rencontrés assez tard, happés par le quotidien, l’éloignement géographique et le silence qui s’établit de part et d’autre au fil du temps et de l’oubli. La vie n’attend pas, il faut avancer, on n’a pas le choix. Puis le chemin ralentit, la pente augmente et se fait caillouteuse, on se retourne alors sur tous ces embranchements que l’on n’a pas empruntés, tous ces cheminements que l’on a négligés, et les cousins oubliés réapparaissent, le lien se recrée comme si nous nous étions quittés la veille. Comment avons-nous pu vivre toutes ces années sans nous rencontrer, sans être émus par l’entité « Viviane et Nicolas » ?

La chaleur de leur accueil dans leur petite maison, jamais je ne l’oublierai. Pas plus que l’harmonie qui se dégageait de leur couple. Il est de bon ton de murmurer « C’est magnifique » en apprenant qu’un couple s’aime depuis un demi-siècle, mais on dit cela de la même façon que « enchanté », c’est juste une formule : comment peut-on s’aimer si longtemps, impossible, c’est une façade, cela ne se fait plus…

Comme c’est triste, ce désenchantement  ! Continuer la lecture

Shares

À nos âges…

Shares

Cela nous prend le cœur dès la première minute, pourtant il n’y a pas si longtemps que nous l’avons vu, quelques mois tout au plus. Son dos s’est courbé un peu plus, et sa peau cireuse accentue l’impression de fragilité. Ses beaux yeux bleus se sont voilés petit à petit, mais désormais une paupière se ferme de manière intempestive et l’on a l’impression qu’il s’endort, épuisé par une conversation qui ne vient que de commencer.

La vieillesse lui est tombé dessus comme une météorite. Lui qui a toute sa vie montré un enthousiasme pour les autres et pour les idées, lui qui semblait indestructible et était capable de vivre dans des conditions spartiates sans même s’en apercevoir descend l’escalier avec des précautions nouvelles.

Il y a peu de temps qu’il a vraiment pris conscience de la vieillesse et de la finitude. Bien sûr il en parlait, mais avec un tel recul que, tapie dans un recoin de son esprit, l’idée rassurante que cela ne concernait que les autres calmait son angoisse.

« À nos âges, dit-il, il faut faire attention à…  » Et la liste des renoncements commence.

À nos âges… Il entraîne les autres dans son naufrage comme les souverains antiques. Nous comprenons tellement. Il continue à s’intéresser aux autres, à les aimer, à leur apporter tout ce qu’il peut encore leur donner – et il peut beaucoup. Sa conversation est toujours aussi riche, sa mémoire intacte, sa culture impressionnante. Son humour plein de tendresse, sa gentillesse et son amour pour sa compagne transfigurent son visage, éloignent le tic-tac de l’horloge.

Que la Camarde l’oublie longtemps, même si elle est tapie au coin du bois et nous regarde tous passer, prête à bondir on ne sait sur qui.

Shares

La petite fille

Shares
Petite fille s'accrochant à la jupe de sa mère

© Vivian Maier/Collection John Maloof Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York Les Douches La Galerie, Paris

Comme j’aime cette photo de la très grande photographe Vivian Maier ! Elle a été prise il y a un demi-siècle, mais elle est intemporelle. Toutes les petites filles ou presque s’accrochent à la jupe de leur mère lorsqu’elles ne se sentent pas en sécurité, qu’il y a du monde inconnu et qu’elles ont peur de perdre celle qui est leur point de repère dans la vie.

Je me souviens de ce qui avait été un drame pour ma fille. Nous étions invitées dans un endroit inconnu pour elle, il y avait des gens qu’elles ne connaissaient pas. Elle s’était éloignée un moment, ou bien moi peut-être, je ne sais plus, et puis elle m’avait cherchée. Un enfant navigue à vue de regard, et, comme la petite fille de la photo elle s’était accrochée à ma jupe, une corolle pleine de couleurs qu’elle aimait beaucoup et qu’elle pensait à nulle autre pareille. Seulement – hasard de la vie – nous étions deux à porter la même jupe achetée à des centaines de kilomètres de distance. Continuer la lecture

Shares