Archives de catégorie : Critiques

Les livres que j’ai lu et dont j’ai voulu en faire une chronique.

La guerre sans fard d’Olivier Norek

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Olivier Norek nous plonge dans la Guerre d’Hiver, les cent jours d’une guerre atroce dont nous ne savons rien. Parce que cela se passait en novembre 1939 pendant la « drôle de guerre » ? Parce que les Alliés, en particulier la France, se sont comportés d’une façon dont personne n’a eu envie de se souvenir ? La lâcheté fait tache dans les livres d’histoire.

La Finlande est un pays neutre depuis son indépendance en 1917, elle est dotée d’une armée mal équipée, mal armée, aux effectifs ridicules face à son puissant voisin. Voilà que Staline veut les terres de Finlande qui permettront à ses troupes de manœuvrer facilement dans la guerre. Il pense avaler la petite Finlande d’un battement de cil. L’auteur emploie une majuscule pour tout ce qui se rapporte à celui dont on n’ose prononcer le nom, celui à qui l’on s’adresse en tremblant, Lui le dieu cruel et tout puissant qui a des millions de morts à son actif. Ses représentants les commissaires du peuple ont tout pouvoir et les militaires ne contestent aucune de leurs décisions, aussi aberrantes soient-elles.

L’auteur raconte d’abord l’été de ces paysans heureux avant la grande boucherie de l’hiver, quand les appelés viendront défendre leur pays avec un héroïsme sans faille. En face d’eux, si peu nombreux, l’armée de l’Ogre russe, inépuisable réserve de chair à canon venue de toutes les républiques de l’Union.

Les Finlandais résistent, à la grande colère de Staline. Continuer la lecture

Les Guerriers de l’hiver
Olivier Norek
Michel Lafon, août 2024, 448 p., 21,95€
ISBN : 978-2-7499-4720-4

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Drôle de mère que cette Daronne

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Envie de sucrer la morosité ambiante ? J’ai le remède : La Daronne de Hannelore Cayre.

Patience Portefeux, issue d’une famille de fraudeurs d’envergure, végète depuis vingt-cinq ans comme traductrice de l’arabe pour le ministère de la Justice. Elle a cinquante-trois ans,  une mère en EHPAD dont il faut payer la pension et deux honnêtes filles qui ne roulent pas sur l’or. Lorsqu’elle a l’occasion de voler une grosse cargaison de cannabis, les gènes familiaux se réveillent.

Que dire devant ce roman à l’héroïne improbable, au cynisme assumé et à l’humour décapant ? Continuer la lecture

La Daronne
Hannelore Cayre
Éditions Points, février 2020, 192 p., 6,95€
ISBN : 978-2-7578-8291-7

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Fantômes à l’ombre de Winnicott

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Le titre du roman À l’ombre de Winnicott m’a immédiatement fait penser au célèbre psychiatre anglais avec sa mère moyenne, «  good enough mother », la mère assez bonne, quand ma fille se plaignait de la sienne. Je ne voyais pas très bien ce que la couverture avait à voir avec Winnicott, et je fus fort surprise de découvrir un roman gothique que je m’apprêtais à refermer. Autant le dire tout de suite, je ne suis pas amatrice de ce genre de littérature. Mais dès la première page du texte, le mélange de stéréotypes et d’humour est détonant :

Viviane Lombard, puisque tel était son nom, hésita à s’engager dans l’allée cavalière encadrée de bois denses et bordée de chênes moussus dont les ramures se rejoignaient en une voûte de branches dénudées. Lui vint alors à l’esprit l’idée qu’elle pouvait encore faire demi-tour et reprendre un train pour Londres,

où se jeter sous un train pour Londres.

Non, cela créerait trop de désagréments au chef de gare, aux voyageurs, à tout le monde. Et causerait beaucoup trop de chagrin à Émilienne, sa cousine. (p.11)

J’étais intriguée et déjà conquise. Pourtant nous avons affaire à tous les stéréotypes du genre. Un jeune couple innocent (et fortuné) vient d’emménager dans un inquiétant manoir perdu dans la campagne du Sussex, en Angleterre, pays où les fantômes sont estampillés d’origine. Ils ont hérité la demeure de Winnicott Hall où ils comptent vivre avec leur fils de dix ans qui est aveugle. Une gouvernante française vient s’occuper de l’enfant. Nous avons donc un château hanté, un enfant aveugle, une mère un peu snob, un père archéologue (comme le deuxième mari d’Agatha Christie), une gouvernante gothique et dépressive, ainsi qu’un majordome quintessence de Down Town Abbey, des jeunes bonnes un peu évaporées et une cuisinière rassurante ; il ne manque plus que les fantômes ! Justement, « Y en a aussi », comme on dit dans les Tontons flingueurs. Continuer la lecture

À l’ombre de Winnicott
Ludovic Manchette / Christian Niemiec
Le Cherche Midi, août 2024, 504 p., 22,50 €
ISBN : 978-2-7491-7992-6

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Mazie, la drôle de sainte de Jami Attenberg

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Jami Attenberg est journaliste à New York. Un jour elle tombe sur un article du New Yorker faisant le portrait d’une dénommée Mazie, « la reine du Bowery ». Le Bowery est un quartier du sud de l’arrondissement de Manhattan, siège de nombreux music-halls, mais également symbole de la dépression économique et de la misère des années 30, ainsi qu’un haut-lieu de la criminalité new-yorkaise.

Un personnage fascinant et un quartier très particulier de New York : Jami Attenberg tient un très beau sujet qu’elle convertit en un roman magnifique, grouillant d’humanité et de pittoresque.

Nous plongeons dans la vie de Mazie grâce au journal qu’elle tient depuis ses dix ans, mais aussi au travers de divers témoignages récoltés par un éditeur en vue d’écrire un livre sur Mazie. Le journal constitue la partie la plus importante du texte, mais les interventions des autres personnages éclairent certains points qui seraient restés obscurs (un journal est toujours plein de non-dits évidents pour la personne qui écrit) et ajoutent un piquant supplémentaire au récit. C’est très subtil, très ingénieux et cela donne un livre original, extrêmement vivant. Continuer la lecture

Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés
Jami Attenberg
traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Reignier-Guerre
Les Escales, août 2016, 391 p., 21,90 €
ISBN : 978-2-365-69145-1

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Les doigts coupés, plongée dans les origines de la domination masculine

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Hannelore Cayre se lance dans un projet plutôt culotté avec ce roman qui se présente comme la première scène de crime de l’histoire, mais aussi l’explication de la domination des hommes et de la violence.

On découvre par hasard deux squelettes, l’un féminin, l’autre masculin dans une grotte, dont les murs sont ornés de mains avec des doigts coupés. Des mains de femmes mutilées, protestations imprimées sur la roche depuis 35 000 ans durant la période de l’Aurignacien. Cela se passe en Dordogne, et nous savons que durant cette période charnière, les Homo Sapiens durent rencontrer les hommes de Néandertal puisque les traces de ces derniers figurent dans notre ADN.

Le roman alterne entre deux personnages féminins, d’un côté l’ambitieuse paléontologue Adrienne Célarier, de l’autre, surgie de ces temps qui ne connaissaient pas l’écriture, Oli, dont le corps a été soigneusement isolé des bêtes sauvages par des pierres.

Le projet est original : le discours de présentation de la découverte de la grotte et des deux corps ainsi que les investigations des scientifiques, nous éclaire sur certains aspects de la vie des groupes préhistoriques. Il ne masque pas les interrogations devant ce que nous ne comprenons pas et supposons seulement. Il présente les éléments attestés par le matériau retrouvé ainsi que la comparaison avec les conclusions des anthropologues sur les usages des sociétés dites primitives. C’est passionnant.

Ce discours pourrait être indigeste s’il n’était fragmenté, dispensé entre deux épisodes de la vie d’Oli que l’on suit très vite avec fascination. On découvre  en suivant la jeune femme les animaux de l’époque, les conditions de vie, la solitude, la violence, les rencontres entre les différents groupes. On pénètre rapidement dans ce monde dont on connaît si peu de choses parce que les personnages, au-delà de leur étrangeté, nous ressemblent par leurs sentiments et leurs pensées. C’est malin.

Mais surtout ce roman noir nous présente la découverte de ce moment-clé dans l’histoire humaine : les enfants ne viennent pas de nulle part mais de la semence des hommes dans le ventre des femmes. Ce qui signifie que les hommes ne meurent pas tout à fait, et les femmes ne peuvent pas leur refuser d’être le réceptacle de leur semence. Immense et fondamental moment qui va susciter le chaos. Roman noir, donc.

Cette plongée dans la préhistoire n’a rien à voir avec les grandes sagas comme Les enfants de la Terre de Jean Auel, c’est plutôt la démonstration étayée par l’anthropologie de la domination masculine dans la préhistoire. L’interdiction faite aux femmes de chasser se retrouve en de nombreuses sociétés : aux hommes la chasse et les armes, aux femmes la reproduction et le soin aux enfants. Les femmes ont-elles toujours accepté ces diktats ? La paléontologie nous montre que non, les grottes ornées de leurs mains mutilées sont assez parlantes à ce sujet.

Ce court roman nous fait découvrir de nombreux rites et usages venus du fond des temps, il nous interroge aussi sur l’héritage inconscient que cela nous a laissé dans la distribution traditionnelle des rôles masculins-féminins. Et si on ne coupe plus les doigts des femmes pour les punir de leur insoumission, on fait parfois pire que cela.

La lumière vacillante d’une lampe à graisse reflétée par les cristaux de calcite révèle un corps puis suit des traces de pas d’enfants et d’adultes le contournant jusqu’à un second corps entouré de divers objets et enfin remonte sur les parois couvertes d’empreintes négatives dont toutes ont une ou plusieurs phalanges manquantes. Puis, l’intégralité de la grotte s’éclaire, révélant deux panneaux couverts de centaines de pochoirs de mains mutilées. (p. 17)

Les doigts coupés
Hannelore Cayre
Métailié, mars 2024, 192 p., 18€
ISBN : 979-10-226-1350-7

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