Archives de catégorie : Société

Robert Badinter, hommages et miroir navrant

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L’artisan de l’abolition de la peine de mort en France Robert Badinter nous a quittés, mais jamais il n’aura été aussi présent dans le paysage médiatique français. Les hommages appuyés qui lui sont rendus depuis hier envahissent la radio d’état qu’est France Inter, mais les journaux ne sont pas en reste. De tous bords, les journaux.

Certains évoquent déjà le Panthéon, Aux grands Hommes la Patrie reconnaissante.

Robert Badinter en 2007

Lui qui n’était pas dupe du cirque politique doit sourire et son regard malicieux sous ses sourcils broussailleux doit briller depuis l’éternité. Se rendent-ils compte de ce qu’ils font ?

Tant de battage médiatique pour un honnête homme qui s’est battu toute sa vie pour ses convictions possède un terrible effet de miroir sur l’actualité de la vie politique française. Celui qui n’a éprouvé ni l’ivresse du pouvoir ni les calculs mesquins et les coups bas est célébré jusqu’à l’excès.

Une question se pose en filigrane : où se trouvent les grands serviteurs actuels de la République et de l’État de droit ? Les grandes personnalités morales qui ne traînent pas de casseroles ?

On comprend que les hommages continuent de pleuvoir pour masquer le vide actuel de grandes figures.

 

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Louise Erdrich et La Sentence, abondance et confusion

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Louise Erdrich dédicace La Sentence

« À toutes celles et ceux qui ont travaillé à Birchbark Books, à nos clients, à nos fantômes ».

Birchbark Books, la librairie dédiée à la littérature autochtone de l’autrice, se trouve à Minneapolis, lieu de l’action du roman qui se déroule – à part les digressions temporelles – essentiellement durant l’année 2020, avec la Covid et surtout la flambée de violence qui a suivi l’assassinat de George Floyd, le 25 mai 2020 à Minneapolis.

La narratrice amérindienne, Tookie – une Ojibwé, comme la mère de Louise Erdrich – , a été condamnée à soixante ans d’emprisonnement à la suite d’un crime rocambolesque : pour faire plaisir à une amie, elle a volé un cadavre dont les aisselles étaient bourrées de cocaïne. Au bout de dix ans d’incarcération, elle a droit à une liberté conditionnelle et, à peine sortie, épouse Pollux, le policier tribal qui l’avait arrêtée. Elle trouve du travail dans une librairie de sa ville, Minneapolis, dont la patronne s’appelle Louise. Nous savons donc dès le départ que fiction et autofiction vont se mêler dans ce roman inscrit dans un lieu et un temps précis.

En novembre 2019 une cliente assidue de la librairie meurt, et bientôt son fantôme vient hanter la librairie et ses employés, en particulier Tookie la narratrice. La fille de Flora offre à Tookie un livre que sa mère aimait beaucoup, et tout se complique, car le livre a du pouvoir, et Flora l’avait volé. Ce texte est un texte autobiographique intitulé « La Sentence », comme le titre du roman :

Deux jours plus tard, le soir, j’ai enfin ouvert le livre de Flora. L’ouvrage lui-même contrastait avec sa calme couverture blanche, il s’agissait d’un très vieux journal intime aux pages de garde marbrées imprimées à la main, avec des volutes rouge sombre, indigo et dorées. […] Un genre de page de titre disait

LA SENTENCE

Une captivité indienne

1862-1883

Le reste était difficile à comprendre : des noms flous, des dates qui n’étaient plus que des taches claires.

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La sentence
Louise Erdrich
Albin Michel, septembre 2023, 448 p., 23,90 €
ISBN : 978-2-226-47490-2

La sentence
Louise Erdrich
Albin Michel, septembre 2023, 448 p., 23,90 €
ISBN : 978-2-226-47490-2

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À nos âges…

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Cela nous prend le cœur dès la première minute, pourtant il n’y a pas si longtemps que nous l’avons vu, quelques mois tout au plus. Son dos s’est courbé un peu plus, et sa peau cireuse accentue l’impression de fragilité. Ses beaux yeux bleus se sont voilés petit à petit, mais désormais une paupière se ferme de manière intempestive et l’on a l’impression qu’il s’endort, épuisé par une conversation qui ne vient que de commencer.

La vieillesse lui est tombé dessus comme une météorite. Lui qui a toute sa vie montré un enthousiasme pour les autres et pour les idées, lui qui semblait indestructible et était capable de vivre dans des conditions spartiates sans même s’en apercevoir descend l’escalier avec des précautions nouvelles.

Il y a peu de temps qu’il a vraiment pris conscience de la vieillesse et de la finitude. Bien sûr il en parlait, mais avec un tel recul que, tapie dans un recoin de son esprit, l’idée rassurante que cela ne concernait que les autres calmait son angoisse.

« À nos âges, dit-il, il faut faire attention à…  » Et la liste des renoncements commence.

À nos âges… Il entraîne les autres dans son naufrage comme les souverains antiques. Nous comprenons tellement. Il continue à s’intéresser aux autres, à les aimer, à leur apporter tout ce qu’il peut encore leur donner – et il peut beaucoup. Sa conversation est toujours aussi riche, sa mémoire intacte, sa culture impressionnante. Son humour plein de tendresse, sa gentillesse et son amour pour sa compagne transfigurent son visage, éloignent le tic-tac de l’horloge.

Que la Camarde l’oublie longtemps, même si elle est tapie au coin du bois et nous regarde tous passer, prête à bondir on ne sait sur qui.

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Ogres et Petits Poucets de l’édition

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Les ogres de l’édition française ne se dévorent pas entre eux, ils jouent au Monopoly des acquisitions et cessions d’actifs : le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky rachète Editis le groupe qui a avalé une cinquantaine de maisons d’éditions, ce qui permet au groupe Vivendi de Vincent Bolloré d’effectuer son OPA sur le groupe Lagardère. Transferts, fusions-acquisitions, les combats au plus haut niveau pour dominer le monde de l’édition se poursuivent, et la commission européenne donne son feu vert à ce gigantesque Mikado. Rappelons au passage que le milliardaire tchèque détient 25 % de Fnac Darty, le premier détaillant de livres francophones, et qu’il pourra être plutôt tentant de favoriser les livres de sa propre galaxie éditoriale…

Pendant ce temps, rien ne transpire de l’atmosphère qui règne dans les maisons d’édition dont le lecteur, naïvement, pense qu’elles font ce qu’elles veulent et publient les auteurs pour lesquels elles éprouvent un coup de cœur littéraire. Or, tout en haut de l’organigramme, il n’est pas question de littérature, mais de gros sous, et cela influe sur les politiques de la maison. Un écrivain doit rapporter de l’argent. D’où la concentration des auteurs, de la publicité, avec bien sûr une multitude de petits soldats balancés dans le grand bain et noyés aussitôt que les chiffres tombent. Plus le temps de fidéliser un auteur, de l’accompagner. Un livre peut être bien reçu par la critique et les lecteurs et pas le suivant, l’auteur a-t-il changé entre-temps ? Seules quelques maisons indépendantes (et financièrement solides !) peuvent se permettre de suivre leurs écrivains et leur permettre de développer leur œuvre, les autres sont soumises au diktat économique. Continuer la lecture

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Découverte embarrassante dans les archives du Vatican

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Le pape François n’est pas seulement le protecteur des migrants et de l’ouverture de l’Europe aux déshérités de la Terre, il est aussi celui de l’ouverture des archives du pontificat de Pie XII. RTS info nous relate la découverte par l’un des archivistes officiels du Vatican d’une lettre de décembre 1942 destinée au pape. Celle-ci prouve que ce dernier était au courant des massacres de masse commis par les nazis ainsi que leur usage de fours crématoires.

Pape Pie XII photographié par Michael Pitcairn, vers 1951.

La position officielle du Vatican depuis l’après-guerre au sujet du silence de Pie XII concernant le sort des juifs n’est désormais plus tenable. Pie XII avait connaissance – cette lettre dactylographiée du jésuite Lothar Koenig le prouve – du massacre de 6 000 Polonais dans le camp de Belzec, en Pologne occupée. Ce document invalide le prétendu manque d’informations du pape sur la situation des juifs.

La controverse sur l’attitude papale existe depuis longtemps, et cette lettre ne résout rien. Fallait-il suivre la charité chrétienne, comme l’ont fait un certain nombre de religieux ? Par exemple monseigneur Saliège, l’archevêque de Toulouse et sa célèbre lettre lue dans toutes les paroisses de son diocèse, mais aussi à la BBC par Robert Schumann, le 31 août 1942 ?

Ou fallait-il se comporter en chef d’État avec les méandres diplomatiques que cela implique ?

Il est difficile de trancher. D’un côté certains cardinaux de la Curie étaient proches des fascistes, de l’autre les monastères et couvents romains ont caché, avec l’accord de Pie XII, 3 200 juifs durant la période nazie.

Merci au pape actuel d’ouvrir les archives de cette sombre période.

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