Bridget a seize ans, elle est rousse, belle et plutôt insolente. Elle vient de perdre son père, et marche dans la prairie jusqu’à ce qu’elle atteigne une petite ville de l’Ouest où elle se retrouvera bientôt pensionnaire dans le bordel de la ville, le Buffalo Queen.
Nous nous trouvons dans l’Ouest américain, avec un shérif, des bandits, des cow-boys et des fusillades, mais pas d’Indiens à l’horizon. On ne quitte pratiquement pas le bordel (même pour assister à une pendaison les filles ne quittent pas le balcon), on croit entendre le beuglant, les filles aguichent et boivent du thé pendant le service, nous sommes dans un western. Mais féministe, le western, avec les femmes qui s’épaulent, se jalousent parfois. Les prostituées (au grand cœur, souvent mais à la faible cervelle) servent habituellement de décor dans les westerns, mais là elles tiennent le rôle principal et les hommes sont réduits à leur fonction et leur désir animal.
Toute l’originalité du roman se trouve dans ce point de vue féminin et féministe.
Bridget apprend vite, et devient la favorite du shérif ; mais arrive Spartan la chasseuse de primes, et la jeune fille comprend que les hommes ne sont pas sa tasse de thé. Il faut dire que les descriptions sexuelles avec les hommes sont très sommaires, alors que tout se réchauffe lorsque Spartan entre en scène.
Hormis le point de vue original et une héroïne au caractère bien trempé qui se révèle homosexuelle, le reste du roman est plutôt cliché, loin des commentaires dithyrambiques cités sur la quatrième de couverture.
En dépit de ces réserves ce roman est mené à bride abattue, malgré le fait qu’il se passe la plupart du temps dans le bordel ; il est souvent plein d’humour et se lit avec plaisir. Un excellent moment de distraction pimenté d’une magnifique traduction. Une fois l’effet de surprise passé, j’ai parfois trouvé le roman un peu allongé de thé au whisky, pas toujours très subtile, mais je guettais la nouvelle trouvaille de la traductrice pour transcrire les expressions argotiques de notre amazone rousse : l’argent devient « l’achetoir », Ne te tracasse pas devient « T’alambique pas l’esprit », se vêtir « s’affrusquer », les âneries débitées par les cowboys deviennent des « symphoneries » et j’en passe.
Quelle jubilation devant les créations de Carine Chichereau !
Sans compter ses superbes images:
La boue et la poussière de l’été s’étaient maintenant solidifiées autour des touffes d’herbe, pareilles à des dents jaunes sous le ciel couleur d’eau sale, et j’ai eu un ricanement de dérision en me disant que j’étais à l’image du décor. (p.284-285)
J’aurais voulu attraper le ciel crasseux et le déchirer tel un vieux rideau moisi. (p.291)
L’hiver était arrivé, et il s’était acagnardé, froid et immobile, sur le paysage. (p.306)
J’ai été séduite par l’inventivité extraordinaire et la poésie de cette traduction, du grand art devant lequel il faut s’incliner et lire L’Affranchie pour admirer toute la virtuosité de cette très grande traductrice qu’est Carine Chichereau.
Claudia Cravens
traduction de l’anglais(États-Unis) par Carine Chichereau
Éditions Les Escales, août 2024, 352 p., 23€
ISBN : 978-2-36569-792-7