Archives par étiquette : Handicap

Le couple de l’hôtel

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Depuis trois jours que nous sommes en vacances, tous les matins, j’entends un bruit régulier sur le carrelage du couloir, un son mat qui résonne dans ma tête ensommeillée.

Et voilà que, au retour du petit déjeuner, ils s’avancent dans notre direction, le géant et sa minuscule compagne. La main gauche de l’homme agrippe l’épaule de sa femme, et de la droite il serre sa canne de toutes ses forces. La canne. Pas encore apprivoisée, maladroite, hasardeuse. Le fragile colosse avance comme si chaque pas était une victoire douloureuse.

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Au moment de nous croiser aucune salutation, pas de sourire poli, la femme garde obstinément les yeux devant le sol, attentive à chaque pas de son compagnon, à chaque obstacle possible. Elle jette à voix basse en italien des consignes que nous ne comprenons pas mais qui sont très claires : fais attention à ce que tes jambes ne s’emmêlent pas, tiens ta canne bien droite. L’angoisse de la chute.

Ils avaient été très beaux, ils le sont encore, mais la pitié et l’effroi devant les ravages du temps ont remplacé l’admiration et peut-être la jalousie. Il était grand et fort, tous les attributs de l’homme protecteur de sa frêle compagne avant l’effondrement et la dépendance.

L’homme nous fixe, nous happe, nous projette le désespoir de ses yeux très bleus : regardez ce que la cruauté du temps et de la maladie a fait de moi. Ce qu’elle peut faire de vous.

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S’adapter, de Clara Dupont-Monod : conte et réalité cruels

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Si l’on commençait par l’histoire du cacatoès ?

Mon amie brésilienne se proposa pour garder pendant leur absence le cacatoès de compatriotes partis au pays. Ce bel oiseau blanc avait appris à siffler l’hymne brésilien, c’était un perroquet patriote qui adorait la vie en société. Pas de problème, il y a toujours de l’animation chez mon amie. Un jour elle oublia de fermer la cage et l’oiseau s’enfuit. Panique à bord, téléphones aux différentes associations de défense des oiseaux, rien pendant un temps qu’elle estima très long, d’autant plus que les amis devaient rentrer bientôt du Brésil.

C’est alors qu’il y eut une sorte de petit miracle : un particulier très investi dans le soin des animaux perdus avait récupéré un cacatoès à huppe jaune trois semaines plus tôt. Vite la cage et la voiture, mais arrivée dans l’arche de Noé, perplexité : il y avait trois cacatoès parfaitement identiques en face d’elle. Mon amie eut un éclair de génie : elle se mit à siffler l’hymne national brésilien et l’un des cacatoès devint complètement fou, s’agitant à se blesser dans sa cage. Aucun doute possible, c’était lui.

Je me suis envolée pareillement de la cage où, semaine après semaine depuis des années, je vous faisais part de mes enthousiasmes ou réticences face aux livres que j’avais lus. Cette pause m’a permis de me concentrer sur mes propres textes et sur ce qu’on appelle, faute de mieux, la vie. Et puis, comme le perroquet de mon amie, un livre bouleversant porté par une écriture magnifique me ramena à mon blog.  Il s’agit de S’adapter de Claire Dupont-Monod. Ce n’est pas une nouveauté, il a provoqué l’effervescence il y a un an et a été récompensé par de nombreux prix, en particulier le Goncourt des lycéens 2021, ce qui prouve que la jeunesse a du goût et du cœur.

Ce livre, j’ai mis du temps à le lire, aspirée par un maelstrom de sensations et le besoin d’aller happer une goulée d’air à l’extérieur tant le texte est juste et fort.
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S’adapter
Clara Dupont-Monod
Stock, août 2021, 200 p., 18,50€
ISBN : 978-2-234-08954-9

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Les enfants qui traversaient le mur

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C’était la fin d’une journée épuisante au Chelsea Flower Show de Londres, le moment où, gavé des prouesses architecturales des plus grands créateurs de jardins de Grande-Bretagne, épuisé par les excès de fleurs, d’originalité et de poésie savamment orchestrés, anéanti par le brouhaha et les mouvements de foule, le visiteur n’aspirait qu’au vide et au silence.

Le reflux s’amorçait, les émerveillements avaient fait place à la lassitude et la rumeur s’amenuisait, remplacée par des pas traînants à la recherche de la sortie de la manifestation. Qui prenait le temps de regarder les dernières installations ?

Ce fut alors que je le vis, ce pavillon néo-grec bordé de chaque côté par un muret de pierre sèches, un mélange bizarre de cottage et de folie de jardin, submergé par les fleurs, bien sûr… Mais il y avait quelque chose d’incongru et d’une violence terrible : des enfants grandeur nature voulaient franchir l’espace séparé par des murets, des statues de bois si réalistes, si tragiques dans cet environnement fleuri et un peu mièvre que je n’ai pas pu avancer plus loin. Une fille avait réussi à traverser le mur droit avec son torse et tendait la main vers celle qui voulait la saisir. passage

C’était pour moi la métaphore violente des migrants qui essaient de traverser à la nage l’océan de notre indifférence et de notre méfiance. Ils oscillaient entre la noyade et l’espoir, tendant la main à travers le mur à la recherche de la main, du côté de la sécurité. Pour moi, l’espace sablé entre les deux murs représentait la mer. Continuer la lecture

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Carnet d’un imposteur, comment manipuler la paroi de verre

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hugo-3Hugo Horiot, comédien, a écrit un livre coup de poing pour décrire son autisme de l’intérieur, L’Empereur, c’est moi aux éditions l’Iconoclaste en 2013. En 2016 il récidive, toujours aux éditions l’Iconoclaste avec Carnet d’un imposteur.

Approfondissement après le cri de colère et de douleur ? Manière de surfer sur la vague après un premier succès ? Aucune importance. Le style est là, c’est ce qui compte, c’est ce qui signe l’écrivain, et Hugo Horiot semble en être un :

Ma mère m’a toujours dit d’écrire. J’ai suivi son conseil. Elle m’a libéré de mes prisons. J’écris et j’écrirai encore. (p.27)

Nous verrons. C’est toujours difficile de revenir sur les mêmes éléments de sa vie, cela tourne à la redite en général, mais qu’en est-il lorsque cet élément est votre vie même ? Qu’en est-il lorsqu’une différence à la naissance forme une paroi entre vous et les autres ?

Je mets « vous » en avant, parce que c’est bien ce qui transparaît dans ce livre, la présence obsédante de qui veut trouver une place dans la société alors que les codes lui manquent, ces codes qu’il faut intellectualiser puisque rien d’instinctif n’est possible.

Le masque

Il ne communique pas, disait-on de Julien.

Pas de communication, pas de lien dans ce monde. Pourtant, les paroles souvent dérapent et trahissent. Les mots sont les ennemis. On les interprète, on les analyse et on les déforme. Malentendus, dialogues de sourds. Mensonges et trahisons. Au diable la communication !

Pour me protéger du monde et prendre part à la comédie sociale, j’ai mis en route une machine de guerre. C’est moi qui organise le chaos. Partout où je vais, je joue de tactique et de manipulation. Je crée des élans et dirige des manœuvres de plus ou moins grande envergure. Toute mon adaptation sociale repose sur la distance. Regarder les êtres et les choses avec la plus grande distance possible me permet de tirer une meilleure analyse de la situation et d’agir en conséquence. J’avance masqué. Je semble rassurant et sympathique. Je suis rassurant et sympathique. Bonhomie, chaleur et trivialité. Et surtout légèreté. (p.41)

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Carnet d’un imposteur
Hugo Horiot
L’Iconoclaste, septembre 2016, 158 p., 15€
ISBN : 9791095438182

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