Depuis trois jours que nous sommes en vacances, tous les matins, j’entends un bruit régulier sur le carrelage du couloir, un son mat qui résonne dans ma tête ensommeillée.
Et voilà que, au retour du petit déjeuner, ils s’avancent dans notre direction, le géant et sa minuscule compagne. La main gauche de l’homme agrippe l’épaule de sa femme, et de la droite il serre sa canne de toutes ses forces. La canne. Pas encore apprivoisée, maladroite, hasardeuse. Le fragile colosse avance comme si chaque pas était une victoire douloureuse.
Au moment de nous croiser aucune salutation, pas de sourire poli, la femme garde obstinément les yeux devant le sol, attentive à chaque pas de son compagnon, à chaque obstacle possible. Elle jette à voix basse en italien des consignes que nous ne comprenons pas mais qui sont très claires : fais attention à ce que tes jambes ne s’emmêlent pas, tiens ta canne bien droite. L’angoisse de la chute.
Ils avaient été très beaux, ils le sont encore, mais la pitié et l’effroi devant les ravages du temps ont remplacé l’admiration et peut-être la jalousie. Il était grand et fort, tous les attributs de l’homme protecteur de sa frêle compagne avant l’effondrement et la dépendance.
L’homme nous fixe, nous happe, nous projette le désespoir de ses yeux très bleus : regardez ce que la cruauté du temps et de la maladie a fait de moi. Ce qu’elle peut faire de vous.
Lorsque les années passent, que l’équilibre et la marche deviennent de plus en plus difficile, alors oui, « chaque pas est une victoire douloureuse ». J’en sais quelque chose, même si je marche avec des cannes depuis bientôt 70 ans !
On comprend qu’il faut concentrer toute son énergie pour ne pas se déséquilibrer et aussitôt chuter au risque de la fracture définitive.
Il arrive que vieux on devienne un grand sportif de niveau olympique, mais ça n’intéresse personne et sûrement pas les médias qui veulent faire du fric.
La douleur et la dignité, le courage qu’il faut pour effectuer des actes si parfaitement naturels aux bien-portants ne peuvent être compris que par ceux qui les partagent ou bien leurs proches.
Pour les grands sportifs de niveau olympique, les Olympiades des seniors existeront un jour, j’en suis sûre.