Les doigts coupés, plongée dans les origines de la domination masculine

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Hannelore Cayre se lance dans un projet plutôt culotté avec ce roman qui se présente comme la première scène de crime de l’histoire, mais aussi l’explication de la domination des hommes et de la violence.

On découvre par hasard deux squelettes, l’un féminin, l’autre masculin dans une grotte, dont les murs sont ornés de mains avec des doigts coupés. Des mains de femmes mutilées, protestations imprimées sur la roche depuis 35 000 ans durant la période de l’Aurignacien. Cela se passe en Dordogne, et nous savons que durant cette période charnière, les Homo Sapiens durent rencontrer les hommes de Néandertal puisque les traces de ces derniers figurent dans notre ADN.

Le roman alterne entre deux personnages féminins, d’un côté l’ambitieuse paléontologue Adrienne Célarier, de l’autre, surgie de ces temps qui ne connaissaient pas l’écriture, Oli, dont le corps a été soigneusement isolé des bêtes sauvages par des pierres.

Le projet est original : le discours de présentation de la découverte de la grotte et des deux corps ainsi que les investigations des scientifiques, nous éclaire sur certains aspects de la vie des groupes préhistoriques. Il ne masque pas les interrogations devant ce que nous ne comprenons pas et supposons seulement. Il présente les éléments attestés par le matériau retrouvé ainsi que la comparaison avec les conclusions des anthropologues sur les usages des sociétés dites primitives. C’est passionnant.

Ce discours pourrait être indigeste s’il n’était fragmenté, dispensé entre deux épisodes de la vie d’Oli que l’on suit très vite avec fascination. On découvre  en suivant la jeune femme les animaux de l’époque, les conditions de vie, la solitude, la violence, les rencontres entre les différents groupes. On pénètre rapidement dans ce monde dont on connaît si peu de choses parce que les personnages, au-delà de leur étrangeté, nous ressemblent par leurs sentiments et leurs pensées. C’est malin.

Mais surtout ce roman noir nous présente la découverte de ce moment-clé dans l’histoire humaine : les enfants ne viennent pas de nulle part mais de la semence des hommes dans le ventre des femmes. Ce qui signifie que les hommes ne meurent pas tout à fait, et les femmes ne peuvent pas leur refuser d’être le réceptacle de leur semence. Immense et fondamental moment qui va susciter le chaos. Roman noir, donc.

Cette plongée dans la préhistoire n’a rien à voir avec les grandes sagas comme Les enfants de la Terre de Jean Auel, c’est plutôt la démonstration étayée par l’anthropologie de la domination masculine dans la préhistoire. L’interdiction faite aux femmes de chasser se retrouve en de nombreuses sociétés : aux hommes la chasse et les armes, aux femmes la reproduction et le soin aux enfants. Les femmes ont-elles toujours accepté ces diktats ? La paléontologie nous montre que non, les grottes ornées de leurs mains mutilées sont assez parlantes à ce sujet.

Ce court roman nous fait découvrir de nombreux rites et usages venus du fond des temps, il nous interroge aussi sur l’héritage inconscient que cela nous a laissé dans la distribution traditionnelle des rôles masculins-féminins. Et si on ne coupe plus les doigts des femmes pour les punir de leur insoumission, on fait parfois pire que cela.

La lumière vacillante d’une lampe à graisse reflétée par les cristaux de calcite révèle un corps puis suit des traces de pas d’enfants et d’adultes le contournant jusqu’à un second corps entouré de divers objets et enfin remonte sur les parois couvertes d’empreintes négatives dont toutes ont une ou plusieurs phalanges manquantes. Puis, l’intégralité de la grotte s’éclaire, révélant deux panneaux couverts de centaines de pochoirs de mains mutilées. (p. 17)

Les doigts coupés
Hannelore Cayre
Métailié, mars 2024, 192 p., 18€
ISBN : 979-10-226-1350-7

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