Archives par étiquette : Roman policier

Drôle de mère que cette Daronne

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Envie de sucrer la morosité ambiante ? J’ai le remède : La Daronne de Hannelore Cayre.

Patience Portefeux, issue d’une famille de fraudeurs d’envergure, végète depuis vingt-cinq ans comme traductrice de l’arabe pour le ministère de la Justice. Elle a cinquante-trois ans,  une mère en EHPAD dont il faut payer la pension et deux honnêtes filles qui ne roulent pas sur l’or. Lorsqu’elle a l’occasion de voler une grosse cargaison de cannabis, les gènes familiaux se réveillent.

Que dire devant ce roman à l’héroïne improbable, au cynisme assumé et à l’humour décapant ? Continuer la lecture

La Daronne
Hannelore Cayre
Éditions Points, février 2020, 192 p., 6,95€
ISBN : 978-2-7578-8291-7

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Les doigts coupés, plongée dans les origines de la domination masculine

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Hannelore Cayre se lance dans un projet plutôt culotté avec ce roman qui se présente comme la première scène de crime de l’histoire, mais aussi l’explication de la domination des hommes et de la violence.

On découvre par hasard deux squelettes, l’un féminin, l’autre masculin dans une grotte, dont les murs sont ornés de mains avec des doigts coupés. Des mains de femmes mutilées, protestations imprimées sur la roche depuis 35 000 ans durant la période de l’Aurignacien. Cela se passe en Dordogne, et nous savons que durant cette période charnière, les Homo Sapiens durent rencontrer les hommes de Néandertal puisque les traces de ces derniers figurent dans notre ADN.

Le roman alterne entre deux personnages féminins, d’un côté l’ambitieuse paléontologue Adrienne Célarier, de l’autre, surgie de ces temps qui ne connaissaient pas l’écriture, Oli, dont le corps a été soigneusement isolé des bêtes sauvages par des pierres.

Le projet est original : le discours de présentation de la découverte de la grotte et des deux corps ainsi que les investigations des scientifiques, nous éclaire sur certains aspects de la vie des groupes préhistoriques. Il ne masque pas les interrogations devant ce que nous ne comprenons pas et supposons seulement. Il présente les éléments attestés par le matériau retrouvé ainsi que la comparaison avec les conclusions des anthropologues sur les usages des sociétés dites primitives. C’est passionnant.

Ce discours pourrait être indigeste s’il n’était fragmenté, dispensé entre deux épisodes de la vie d’Oli que l’on suit très vite avec fascination. On découvre  en suivant la jeune femme les animaux de l’époque, les conditions de vie, la solitude, la violence, les rencontres entre les différents groupes. On pénètre rapidement dans ce monde dont on connaît si peu de choses parce que les personnages, au-delà de leur étrangeté, nous ressemblent par leurs sentiments et leurs pensées. C’est malin.

Mais surtout ce roman noir nous présente la découverte de ce moment-clé dans l’histoire humaine : les enfants ne viennent pas de nulle part mais de la semence des hommes dans le ventre des femmes. Ce qui signifie que les hommes ne meurent pas tout à fait, et les femmes ne peuvent pas leur refuser d’être le réceptacle de leur semence. Immense et fondamental moment qui va susciter le chaos. Roman noir, donc.

Cette plongée dans la préhistoire n’a rien à voir avec les grandes sagas comme Les enfants de la Terre de Jean Auel, c’est plutôt la démonstration étayée par l’anthropologie de la domination masculine dans la préhistoire. L’interdiction faite aux femmes de chasser se retrouve en de nombreuses sociétés : aux hommes la chasse et les armes, aux femmes la reproduction et le soin aux enfants. Les femmes ont-elles toujours accepté ces diktats ? La paléontologie nous montre que non, les grottes ornées de leurs mains mutilées sont assez parlantes à ce sujet.

Ce court roman nous fait découvrir de nombreux rites et usages venus du fond des temps, il nous interroge aussi sur l’héritage inconscient que cela nous a laissé dans la distribution traditionnelle des rôles masculins-féminins. Et si on ne coupe plus les doigts des femmes pour les punir de leur insoumission, on fait parfois pire que cela.

La lumière vacillante d’une lampe à graisse reflétée par les cristaux de calcite révèle un corps puis suit des traces de pas d’enfants et d’adultes le contournant jusqu’à un second corps entouré de divers objets et enfin remonte sur les parois couvertes d’empreintes négatives dont toutes ont une ou plusieurs phalanges manquantes. Puis, l’intégralité de la grotte s’éclaire, révélant deux panneaux couverts de centaines de pochoirs de mains mutilées. (p. 17)

Les doigts coupés
Hannelore Cayre
Métailié, mars 2024, 192 p., 18€
ISBN : 979-10-226-1350-7

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L’homme de Berlin, polar historique plus que noir

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Avant la guerre Gregor Reinhardt était un des détectives de la Kripo, la police criminelle de Berlin. Désormais capitaine du contre-espionnage, il doit enquêter sur un double homicide, celui de Marija Vukic, une journaliste bosniaque proche des Oustachis et celui d’un officier allemand, Stefan Hendel, dans la villa de Marija à Sarajevo.

Nous sommes en mai 1943, plongés très vite au milieu de l’imbroglio des différentes factions de l’époque. Le pouvoir en Bosnie a été confié par les nazis à leurs alliés croates oustachis. Ces fanatiques mènent une politique de massacres sur les populations serbes, les Juifs et les tziganes. Cette cruauté institutionnalisée n’empêche pas les Partisans de Tito de gagner du terrain. Ajoutez à cela que la délicate enquête confiée à Reinhardt survient au beau milieu de l’Opération Schwartz, la nouvelle offensive allemande anti-Partisans, et vous aurez un aperçu de ce qui vous attend.

Bienvenue dans l’univers glauque de cette poudrière balkanique, où le capitaine du contre-espionnage Gregor Reinhardt devra enquêter sans s’aliéner la Feldgendarmerie, l’Abwehr, la police oustachi ou les Partisans. Continuer la lecture

L’homme de Berlin
Luke McCallin
août 2020
Folio policier, traduit de l’anglais par Laurent Bury, 624 p., 8,70 €
ISBN : 978-2-07-079403-4

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Le service des manuscrits d’Antoine Laurain : meurtres, cynisme et littérature

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Croyez-vous au hasard, attribuez-vous du sens aux coïncidences fortuites ou estimez-vous que seule la façon dont nous traitons les événements a du sens? Au moment-même où un de mes romans est publié chez Pocket et l’autre incessamment aux Escales, je tombe sur un court roman d’Antoine Laurain, Le Service des manuscrits.

Le service des manuscrits d'Antoine LaurainAutant dire que je me suis jetée sur ce roman jubilatoire et cruel racontant la façon dont on reçoit les manuscrits dans une maison d’édition. J’espère que ce qui est décrit ici n’est pas totalement fidèle à ce qui se passe dans les maisons d’éditions, mais j’avoue que mes excellentes relations avec la mienne se teintent désormais d’une légère suspicion.

Voici la quatrième de couverture, plutôt fidèle à la marchandise :

« À l’attention du service des manuscrits. »
C’est accompagnés de cette phrase que des centaines de romans écrits par des inconnus circulent chaque jour vers les éditeurs.
Violaine Lepage est, à 44 ans, l’une des plus célèbres éditrices de Paris. Elle sort à peine du coma après un accident d’avion, et la publication d’un roman arrivé au service des manuscrits, Les Fleurs de sucre, dont l’auteur demeure introuvable, donne un autre tour à son destin. Particulièrement lorsqu’il termine en sélection finale du prix Goncourt et que des meurtres similaires à ceux du livre se produisent dans la réalité.
Qui a écrit ce roman et pourquoi ? La solution se trouve dans le passé. Dans un secret que même la police ne parvient pas à identifier.
Continuer la lecture

Le Service des manuscrits
Antoine Laurain
Flammarion, janvier 2020, 224 p., 18 €
ISBN : 9782081486096

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Zulu de Caryl Férey : Afrique du Sud et style en ligne de mire

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ZuluVoici Zulu, un terrifiant roman policier ancré dans la réalité sud-africaine à un moment précis de son histoire, juste avant la coupe du monde de football. Cette précision est importante. Le pays est en pleine réconciliation nationale sous la tutelle de Nelson Mandela et il doit présenter une vitrine unie face aux milliards de futurs téléspectateurs de la coupe. Il ne faut pas faire fuir les investisseurs, ce qui suppose dès le départ une fin en demi-teintes.

Le roman démarre par une scène atroce où le héros du roman voit son père désarticulé et son frère flamber dans un pneu. Ce qu’on lui fait, à lui le petit Zoulou, nous ne l’apprendrons qu’à l’extrême fin du roman. Ali et sa mère fuient alors le bantoustan du KwaZulu.

Vingt ans plus tard Ali Neuman (Neuman, l’homme nouveau, le nom qu’il a choisi pour le reste de sa vie) est le chef de la police criminelle de Cape Town. Le cadavre atrocement mutilé d’une jeune fille vient d’être retrouvé dans le jardin botanique de la ville. Ce n’est que le premier d’une longue liste qui va mener le jeune homme vers une réalité épouvantable, loin du crime d’un maniaque. Continuer la lecture

Zulu
Caryl Férey
Gallimard, avril 2008, 392 p., 19,80 €
ISBN : 978-2-07-012092-5

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