L’homme de Berlin, polar historique plus que noir

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Avant la guerre Gregor Reinhardt était un des détectives de la Kripo, la police criminelle de Berlin. Désormais capitaine du contre-espionnage, il doit enquêter sur un double homicide, celui de Marija Vukic, une journaliste bosniaque proche des Oustachis et celui d’un officier allemand, Stefan Hendel, dans la villa de Marija à Sarajevo.

Nous sommes en mai 1943, plongés très vite au milieu de l’imbroglio des différentes factions de l’époque. Le pouvoir en Bosnie a été confié par les nazis à leurs alliés croates oustachis. Ces fanatiques mènent une politique de massacres sur les populations serbes, les Juifs et les tziganes. Cette cruauté institutionnalisée n’empêche pas les Partisans de Tito de gagner du terrain. Ajoutez à cela que la délicate enquête confiée à Reinhardt survient au beau milieu de l’Opération Schwartz, la nouvelle offensive allemande anti-Partisans, et vous aurez un aperçu de ce qui vous attend.

Bienvenue dans l’univers glauque de cette poudrière balkanique, où le capitaine du contre-espionnage Gregor Reinhardt devra enquêter sans s’aliéner la Feldgendarmerie, l’Abwehr, la police oustachi ou les Partisans.

Le personnage de Gregor Reinhardt est désenchanté sinon désespéré, bien sûr, comme tout héros dont on pressent qu’il sera récurrent ; un homme plongé dans l’alcool pour oublier ses drames personnels autant que les interrogatoires qu’il doit mener :

Vous me parlez de choix ? dit Reinhardt. Je sais seulement que les choix que la vie fait à notre place nous dépouillent de la personne que nous voulons être. Ils font de nous ce que nous n’avons jamais souhaité. Et le jour où vous regardez en arrière, vous vous apercevez que le fil de votre vie est une cicatrice qui masque ce qui aurait pu être.

En face de lui de nombreux personnages tout aussi complexes permettent de compléter le tableau de la confusion qui règne dans cette région à ce moment de l’Histoire. Si le personnage principal semble un classique du roman policier (le flic désabusé bourré de problèmes personnels et porté sur la bouteille), ce qui l’est moins c’est le contexte historique qui éclaire les haines contemporaines mal éteintes entre les différentes parties de l’ex-Yougoslavie.

Le titre du roman est-il une référence au film d’espionnage en noir et blanc avec James Mason? C’est la même atmosphère confuse dans les deux cas, le Berlin en ruines du film de 1953 de Carol Reed et Adrian Pryce-Jones se superpose à l’ambiance déliquescente du roman de Luke McCallin.

L’intrigue est solide, efficace, empreinte d’humanité et d’horreur. J’ajouterai que d’une certaine façon la ville de Sarajevo est l’héroïne de ce roman. Son atmosphère, la précision des descriptions, tout nous montre que l’auteur connaît bien les lieux, lui qui y a travaillé pour les Nations Unies pendant plusieurs années.

Il faut accepter d’être submergé dans un premier temps par le contexte historique très compliqué pour se laisser porter par l’intrigue, accepter d’être ballotté dans cet imbroglio autant politique que policier en même temps que Gregor Reinhardt, accepter doutes, hésitations, lâcheté parfois de celui qui n’est pas un héros, seulement un flic têtu.

Le roman est long (600 pages). Il pâtit à certains moments de la traduction un peu lourde qui ne correspond certainement pas au texte anglais d’origine ;  mais très vite on est happé par cette ambiance de fin du monde où les plus atroces cruautés forment la trame du quotidien, où l’Histoire est incarnée dans des personnages très crédibles. Une fois plongé dans l’intrigue, l’époque et les lieux, on ne sort qu’à regret de sa lecture, prêt pour les deux tomes suivants des aventures de Gregor Reinhardt.

L’homme de Berlin
Luke McCallin
août 2020
Folio policier, traduit de l’anglais par Laurent Bury, 624 p., 8,70 €
ISBN : 978-2-07-079403-4

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