Zulu de Caryl Férey : Afrique du Sud et style en ligne de mire

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ZuluVoici Zulu, un terrifiant roman policier ancré dans la réalité sud-africaine à un moment précis de son histoire, juste avant la coupe du monde de football. Cette précision est importante. Le pays est en pleine réconciliation nationale sous la tutelle de Nelson Mandela et il doit présenter une vitrine unie face aux milliards de futurs téléspectateurs de la coupe. Il ne faut pas faire fuir les investisseurs, ce qui suppose dès le départ une fin en demi-teintes.

Le roman démarre par une scène atroce où le héros du roman voit son père désarticulé et son frère flamber dans un pneu. Ce qu’on lui fait, à lui le petit Zoulou, nous ne l’apprendrons qu’à l’extrême fin du roman. Ali et sa mère fuient alors le bantoustan du KwaZulu.

Vingt ans plus tard Ali Neuman (Neuman, l’homme nouveau, le nom qu’il a choisi pour le reste de sa vie) est le chef de la police criminelle de Cape Town. Le cadavre atrocement mutilé d’une jeune fille vient d’être retrouvé dans le jardin botanique de la ville. Ce n’est que le premier d’une longue liste qui va mener le jeune homme vers une réalité épouvantable, loin du crime d’un maniaque.

Tout est là : le passé criminel de l’Afrique du Sud, le Sida, la violence et la pauvreté des quartiers noirs, les armes chimiques testées par les grandes puissances du monde entier, un nouveau produit démentiel, les grands criminels qui n’ont jamais été jugés. Vérité et réconciliation, le slogan ne résiste pas au cynisme de la réalité politique. Dans l’Afrique du Sud contemporaine, les vieux démons du racisme et de la suprématie blanche ne sont pas morts. 

Caryl Férey s’est remarquablement documenté sur la réalité historique et sociologique du pays (comme c’est le cas également pour Mapuche) ce qu’il écrit est très visuel, nous sommes littéralement dans le pays, sur les routes et les pistes, imprégnés de chaleur et de violence.

Tous les ingrédients d’un bon polar figurent dans le livre : Ali est un très bel homme, un Zoulou qui ressemble à un seigneur, et ce  héros charismatique est plein de traumatismes et de fragilité.  Ses adjoints et amis blancs, Brian Epkeen et Dan Fletcher, possèdent eux aussi leur lot de fêlures.

Voici une belle machine, haletante, avec fausses pistes et densité dramatique, avec plongée dans la réalité du chaos sud-africain, avec violence et corruption à la limite de l’overdose. De nombreuses scènes d’ultra-violence ponctuent ce roman plus que sombre et un peu désabusé qui a été récompensé par divers prix de romans policiers.

Pourtant, certains éléments me gênent un peu. Il faut dire que j’ai lu l’édition de 2008, peut-être qu’une relecture attentive des correcteurs des éditions suivantes aura pu faire disparaître certaines fautes grossières d’accord et réparer facilement les erreurs inévitables dans un roman où il y a beaucoup de personnages. Par exemple la fille de Claire et Dan Fletcher s’appelle Ève p. 211 et Zoé p. 213.

Le style, hélas le style, demanderait un peu de retenue, et cela, aucun correcteur ne peut intervenir. Jugez un peu :

Tara déposa un baiser mélancolique sur ses lèvres, avant de disparaître comme une ville sous les bombes. (p. 224)

Maintenant je le sais : un auteur de romans policiers noir profond cache un cœur de midinette :

Il pleuvait des cordes dans ses yeux bleu-Atlantique. (…) Ses yeux tremblaient derrière ses lunettes noires. (p. 176)

(…) son visage s’éclaira lentement, comme si les souvenirs lui revenaient par bouquets d’azur.

N.B : les souvenirs en question ne sont pas vraiment romantiques, la dame a vu un 4×4. Cela ressemble à la chanson d’Eddy Mitchell, vous savez, La fille aux yeux menthe à l’eau… Sauf que là, on est dans le bleu. On continue dans la même couleur, décidément inspiratrice :

Ses perles bleues le traversaient comme de l’anti-matière. (p. 196)

Tara débarqua dans le bureau d’Epkeen et le monde, le temps d’un mirage, devint bleu Klein. (p. 213)

Son attention était totale, ses yeux cobalt envoyaient des éclairs luminescents aux cristaux liquéfiés (p. 214)

Ce qui m’intéresse dans les romans, quel que soit leur genre, c’est la structure, la façon dont l’auteur se débat avec ses héros et son projet, la façon dont il fait avancer son histoire. Certaines intrigues sont émouvantes par leurs défauts et leurs possibilités, elles dégagent une petite musique personnelle.

Le style, quant à lui, est plus qu’une signature. Dans le roman Creole belle par exemple, il y a des failles dans la narration, mais le texte possède un rythme si personnel, c’est la note bleue sur des centaines de pages, une atmosphère envoûtante de blues. Ici, les boursouflures stylistiques me gênent malgré l’histoire passionnante. Je recommande chaleureusement Zulu à tous les amateurs de romans policiers ou aux nostalgiques de leurs vacances en Afrique du Sud. Pour les autres, attendez les vacances.

Zulu
Caryl Férey
Gallimard, avril 2008, 392 p., 19,80 €
ISBN : 978-2-07-012092-5

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2 réflexions sur « Zulu de Caryl Férey : Afrique du Sud et style en ligne de mire »

  1. Edmée De Xhavée

    Ha ha je serais aussi un peu décontenancée par ces descriptions surprenantes. Par ailleurs j’aimerais sans doute l’intrigue. Ma soeur vit encore beaucoup à Cape Town et y a habité plusieurs années de manière fixe. Son mari est un Boer… J’y suis allée en 93, beaucoup d’endroits étaient très dangereux et on prenait des précautions pour tout dans la vie quotidienne. Et maintenant c’est pire me dit-elle…

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Mazette, quelle vie tu as eue, Edmée la baroudeuse! Cela semble un tropisme familial, c’est fascinant! J’aime beaucoup tes textes, même si je ne suis personnellement pas tournée vers la rétrospection je suis sensible à ta musique si reconnaissable.

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