Nous nous sommes attachés à Elena et Lila, les deux amies d’enfance dans le premier tome de L’amie prodigieuse. Nous les avons quittées alors que Lila vient de se marier et que Elena poursuit le lycée, elles ont seize ans. Nous les retrouvons lors de ce deuxième volume pour les suivre jusqu’au moment où chacune aura trouvé une place si éloignée de l’autre dans l’échiquier social que l’on se demande comment leur amitié va survivre à ce grand écart sociologique.
C’est sans doute l’intérêt et l’astuce qui me fera lire le volume suivant, parce que là, vraiment, j’ai trouvé que ces 615 pages tenaient du remplissage. Les 238 premières pages nous racontent par le menu la vie quotidienne des deux amies : études et amour secret d’Elena pour le beau Nino Sarratore, le fils du volage journaliste chemineau et travaux dans la nouvelle épicerie de Stefano pour Lila. Déjà les fêlures entre les deux jeunes amies apparaissent :
Mon angoisse augmenta. Je dois lui raconter, me dis-je, que je ne vais plus à la fête, je dois lui dire que j’ai changé d’avis ! Bien sûr, je savais que derrière la Lila à l’apparence disciplinée qui travaillait du matin au soir, il y avait une autre Lila, nullement soumise : cependant, maintenant que je prenais la responsabilité de la faire entrer chez Mme Galliani, cette Lila rebelle m’effrayait davantage, et son refus même de se résigner me semblait de plus en plus destructeur. Que se passerait-il si, en présence de ma prof, quelque chose provoquait un de ses mouvements de révolte ? Que se passerait-il si elle décidait d’utiliser le langage qu’elle venait d’employer avec moi ? J’avançai avec prudence :
« Lila, s’il te plaît, ne parle pas comme ça… »
Elle me regarda, perplexe :
« Comment, comme ça ?
— Comme tu viens de faire ! »
Elle se tut un instant puis demanda :
— Je te fais honte ? »
(p. 199-200)
Ce passage illustre parfaitement l’ambiguïté de cette amitié de jeunesse quand les chemins choisis aboutissent à un énorme fossé, tout comme l’aspect destructeur de l’insoumission de Lila est appelé à la détruire elle-même.
Lila n’arrive pas à donner un fils à Stefano parce qu’elle est trop fragile. Elle part donc au bord de la mer à Ischia avec Elena, sa mère et sa belle-sœur, Pinuccia la femme de Rino. Très vite débarquent sur la plage Nino et son ami Bruno. Ce qui va suivre est évident, il n’y a que la naïve Elena pour ne pas voir ce qui se passe sur cette plage. Deux cent cinquante pages pour un marivaudage, c’est long.
La suite, heureusement, est plus intéressante, la vie de la narratrice s’accélère, jusqu’à la révélation de l’écrivain qu’elle est devenue. La vie de Lila ressemble à une chute. Le beau Nino agit comme le père qu’il déteste, il la quitte, disparaît de sa vie et du livre avant de réapparaître à la toute dernière ligne. C’est ce qui s’appelle soigner son lectorat comme les feuilletonistes d’antan.
Elena Ferrante
traduit de l’italien par Elsa Damien
Gallimard, novembre 2016, 622 p., 8,80 €
ISBN : 978-2-07-269314-4
« Un livre pour femme »
on sait bien que les éditeurs flattent ce lectorat-là. les dames lisent bien plus que les hommes. La plupart des « blogs littéraires » sont féminins.
Va falloir que je m’y mette. La prochaine fois je publie sous le nom de Aline Rohand.
Aline, comme la chanson d’Hervé Vilard, pourquoi pas? Mais pense aux thèmes, c’est important, les thèmes!
Donc le diagnostic semble pas trop mal mais on pourrait arracher des pages 🙂 Même pas puisque dans les informations inutiles de remplissage se trouvent quand même des faits qui posent le pont vers la fin…
On se demande avec admiration comment l’auteur a réussi à tirer plus de 600 pages d’un argument aussi ténu! Le tout en contraignant en douceur le lecteur (le plus souvent une lectrice). Je n’ai pas parlé de certains passages que me font pencher pour un auteur masculin, ce sera pour le tome suivant!