Envie de sucrer la morosité ambiante ? J’ai le remède : La Daronne de Hannelore Cayre.
Patience Portefeux, issue d’une famille de fraudeurs d’envergure, végète depuis vingt-cinq ans comme traductrice de l’arabe pour le ministère de la Justice. Elle a cinquante-trois ans, une mère en EHPAD dont il faut payer la pension et deux honnêtes filles qui ne roulent pas sur l’or. Lorsqu’elle a l’occasion de voler une grosse cargaison de cannabis, les gènes familiaux se réveillent.
Que dire devant ce roman à l’héroïne improbable, au cynisme assumé et à l’humour décapant ?
Voici les premières lignes du premier chapitre :
Mes fraudeurs de parents aimaient viscéralement l’argent. Pas comme une chose inerte qu’on planque dans un coffre ou que l’on possède inscrit sur un compte. Non. Comme un être vivant et intelligent qui peut créer et tuer, qui est doué de la faculté de se reproduire. Comme quelque chose de formidable qui forge les destins. Qui distingue le beau du laid, le loser de celui qui a réussi. L’argent est le Tout ; le condensé de tout ce qui s’achète dans un monde où tout est à vendre. Il est la réponse à toutes les questions. Il est la langue d’avant Babel qui réunit tous les hommes. (p.9)
Il n’est pas innocent que le texte commence par la description le la passion des parents de Patience pour l’argent. Tout le monde sait l’importance de l’imprégnation de nos jeunes années sur notre vie. Il suffit d’avoir de la patience, justement.
Le titre du roman – La Daronne, c’est-à-dire la mère en argot – est un autre fil conducteur. Patience plonge dans l’illégalité pour payer la pension de sa mère en EHPAD :
Franchir la porte automatique de cet établissement poétiquement nommé Les Éoliades, c’était comme passer une frontière entre la vie et un univers où le jaune des murs me sautait aux narines avec son odeur de soupe aux légumes, de détergent industriel et d’alèse sale. M’accueillaient là, parqués dans le hall en attendant qu’on les pousse dans la salle à manger, une centaine de vieillards hagards, dodelinant de la tête comme pour dire non à la mort. (p.43)
Prudence est elle-même la mère de deux filles qui vivent chichement, elle veut leur assurer un avenir meilleur, voilà qui explique le basculement, mais n’explique pas comment celui-ci est possible. Hannelore Cayre est avocate pénaliste, elle connaît de l’intérieur les rouages de la justice ainsi que l’univers des dealers et de la police. Tout comme elle sait ce que nous ignorons, c’est-à-dire l’importance des traducteurs judiciaires dans le fonctionnement de la police, traducteurs qui, s’ils sont mal payés et mal protégés par leur statut, savent avant tout le monde ce qui se passe. Le pouvoir de leur traduction est sous-estimé, il était tentant pour Hannelore Cayre de montrer ce qu’il pourrait se passer si…
Nous voilà donc piégés par cette improbable dealeuse si humaine, et par la force des mots et le talent d’Hannelore Cayre qui nous percutent autant qu’ils nous réjouissent. Nous quittons La Daronne à regrets, après cette cavalcade aussi courte et réjouissante que le style de son autrice.