Croyez-vous au hasard, attribuez-vous du sens aux coïncidences fortuites ou estimez-vous que seule la façon dont nous traitons les événements a du sens? Au moment-même où un de mes romans est publié chez Pocket et l’autre incessamment aux Escales, je tombe sur un court roman d’Antoine Laurain, Le Service des manuscrits.
Autant dire que je me suis jetée sur ce roman jubilatoire et cruel racontant la façon dont on reçoit les manuscrits dans une maison d’édition. J’espère que ce qui est décrit ici n’est pas totalement fidèle à ce qui se passe dans les maisons d’éditions, mais j’avoue que mes excellentes relations avec la mienne se teintent désormais d’une légère suspicion.
Voici la quatrième de couverture, plutôt fidèle à la marchandise :
« À l’attention du service des manuscrits. »
C’est accompagnés de cette phrase que des centaines de romans écrits par des inconnus circulent chaque jour vers les éditeurs.
Violaine Lepage est, à 44 ans, l’une des plus célèbres éditrices de Paris. Elle sort à peine du coma après un accident d’avion, et la publication d’un roman arrivé au service des manuscrits, Les Fleurs de sucre, dont l’auteur demeure introuvable, donne un autre tour à son destin. Particulièrement lorsqu’il termine en sélection finale du prix Goncourt et que des meurtres similaires à ceux du livre se produisent dans la réalité.
Qui a écrit ce roman et pourquoi ? La solution se trouve dans le passé. Dans un secret que même la police ne parvient pas à identifier.
Cette présentation accentue l’aspect roman policier au détriment de la description des mœurs du milieu littéraire composée de notations cruelles et si réalistes qu’il est difficile de ne pas s’y reconnaître à un moment ou un autre. Certains portraits au vitriol des divas du milieu, d’autres drôlatiques, et des clins d’œil appuyés à ceux qui font la littérature, les écrivains vivants ou morts, rappellent que sans ces caractériels ou ces forçats de l’écriture, le milieu de l’édition n’existerait pas.
Cinq cent mille manuscrits sont refusés tous les ans, nous dit l’auteur, et le regard de ceux qui lisent ces textes auxquels leurs auteurs tiennent tant ne sont pas tendres.
Murielle était par ailleurs correctrice de métier et la chasse aux fautes d’orthographe ou de frappe lui procurait une joie comparable à celle de la cueillette des champignons en septembre. Elle les traquait avec un plaisir qui confinait à l’orgasme et, lorsqu’elle tombait sur un participe passé mal accordé ou encore un « ils avait », elle en frémissait de bonheur.
Les auteurs sont traités comme un produit, mais cela nous nous en doutions :
La littérature a, par périodes, besoin du sang des vierges pour se régénérer. Des jeunes gens des deux sexes se retrouvent soudain sous le feu des projecteurs dès leur premier ouvrage. Ils survivront à la morsure du vampire ou s’étioleront pour toujours – à l’image de ces auteurs de premiers romans dont les deux tiers ne reviendront jamais avec un second. Nouveau texte refusé par l’éditeur, blocage psychologique suite au succès – si succès il y a eu – sentiment d’avoir « tout dit », les variantes sont nombreuses et mystérieuses.
Le texte croque le milieu littéraire avec un humour féroce, nous entraîne dans une cavalcade effrénée où les meurtres calqués sur ceux que l’on peut découvrir dans Les Fleurs de sucre apporte un délicieux supplément de sadisme. Bon, la fin semble un peu invraisemblable. Quoique… La fiction peut rejoindre la réalité, je vous donne l’exemple du peintre surréaliste Victor Brauner. En 1931 il réalise un autoportrait à l’œil énucléé, et sept ans plus tard, lors d’une rixe entre peintres avinés, Victor Brauner reçoit des éclats de verre qui ne lui étaient pas destinés. Exactement la même blessure qu’il avait peinte sept ans plus tôt. La plus invraisemblable prémonition étant donc possible, ne comptez pas sur moi pour dévoiler le coup de théâtre final.
J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman qui ne prétend pas révolutionner la littérature, mais qui entr’ouvre des portes pour qui ne connaît pas le milieu de l’édition. Quant aux noms choisis, l’auteur manie l’ironie avec jubilation, comme le titre du roman Les Fleurs de sucre, délicatesse poétique pour des meurtres sordides. Ne parlons pas de l’auteur mystère dévoilé juste à la fin, Camille Désencres, des encres, bien noires, forcément noires, aurait dit Marguerite Duras. Et l’héroïne, l’éditrice Violaine Lepage, pourquoi Lepage et pas la page, me direz-vous ? Peut-être parce que les Anglo-saxons comme Stephen King, que Violaine connaît bien sont troublés par le genre des noms français. Vous êtes moroses, vous n’avez pas envie de vous prendre la tête, mais désirez quand même lire quelque chose d’intelligent, drôle et vite lu tout en ne connaissant pas de temps mort? Le Service des manuscrits est fait pour vous.