C’était la fin d’une journée épuisante au Chelsea Flower Show de Londres, le moment où, gavé des prouesses architecturales des plus grands créateurs de jardins de Grande-Bretagne, épuisé par les excès de fleurs, d’originalité et de poésie savamment orchestrés, anéanti par le brouhaha et les mouvements de foule, le visiteur n’aspirait qu’au vide et au silence.
Le reflux s’amorçait, les émerveillements avaient fait place à la lassitude et la rumeur s’amenuisait, remplacée par des pas traînants à la recherche de la sortie de la manifestation. Qui prenait le temps de regarder les dernières installations ?
Ce fut alors que je le vis, ce pavillon néo-grec bordé de chaque côté par un muret de pierre sèches, un mélange bizarre de cottage et de folie de jardin, submergé par les fleurs, bien sûr… Mais il y avait quelque chose d’incongru et d’une violence terrible : des enfants grandeur nature voulaient franchir l’espace séparé par des murets, des statues de bois si réalistes, si tragiques dans cet environnement fleuri et un peu mièvre que je n’ai pas pu avancer plus loin. Une fille avait réussi à traverser le mur droit avec son torse et tendait la main vers celle qui voulait la saisir.
C’était pour moi la métaphore violente des migrants qui essaient de traverser à la nage l’océan de notre indifférence et de notre méfiance. Ils oscillaient entre la noyade et l’espoir, tendant la main à travers le mur à la recherche de la main, du côté de la sécurité. Pour moi, l’espace sablé entre les deux murs représentait la mer.
J’étais pétrifiée.
Une femme âgée s’est approchée de moi. Elle m’a expliqué que je me trouvais face au pavillon d’une association qui luttait contre la méningite, qui expliquait sans relâche les symptômes de cette maladie pour qu’elle disparaisse enfin. Les enfants ou adolescents sculptés étaient grandeur nature, un scanner en 3 D avait pris leurs mesures. L’un d’entre eux était mort, c’est celui qui disparaissait dans le sol. Les autres conservaient de graves séquelles, mais ils faisaient partie de l’association et avaient prêté leur corps au sculpteur. Ils racontaient leur histoire d’enfants frappés souvent à quelques semaines d’existence seulement par la maladie.
La voix mélancolique de cette femme, son sourire très doux… Elle m’a tendu le prospectus explicatif, m’a encouragée à aller voir sur leur site. Je ne devais pas être triste, ces enfants avaient une vie, la jeune fille faisait partie de l’équipe paralympique, ils encourageaient les enfants qui avaient des séquelles à faire du sport. Je me suis souvenue des magnifiques jeux paralympiques de Londres, de leur immense succès populaire et des stades pleins d’encouragements et d’applaudissements… Le sourire de cette femme, ses yeux tristes malgré son discours.
Je suis allée voir le site, bien sûr… Tant de personnes se sont mobilisées pour que l’association puisse mener à bien son projet à Chelsea ! Un forestier a offert les troncs pour les statues, une jardinerie a réservé ses plus beaux plants, une autre les ifs ; le travail du sculpteur sur bois, après que l’ordinateur a guidé les découpes de la machine, celui du tailleur de pierre et de son équipe, le sculpteur qui a gravé le fronton du temple, gratuit… Une solidarité portée sans doute par les membres de l’association et la présence des enfants.
Les enfants impliqués dans ce projet, avec le petit de cinq ans polyhandicapé, ce petit si proche de sa jeune mère fragile. Son sourire à fendre le cœur d’un bois pétrifié. Même si vous ne parlez pas l’anglais, je vous encourage fortement à regarder la vidéo, jusqu’au bout, les images parlent d’elles-mêmes.
Le pavillon néo-grec qui m’avait surprise était une représentation du temple d’Esculape pour ceux qui attendent une guérison miraculeuse, et le panneau sculpté symbolisait l’espoir dans les progrès de la médecine moderne. Les murets de cottage, parfaite image du bonheur britannique stéréotypé, montraient que la maladie frappe souvent au cœur de la félicité, quand l’enfant est tout petit.
Je m’étais trompée, les migrants ne traversaient pas la Manche et les Anglais ne se montrent pas accueillants pour ceux qui leur font peur. Mais ce pavillon était la parfaite manifestation d’un mouvement pour la dignité de ceux qui ont vu leur existence bouleversée par la maladie. Des fleurs et des métaphores de bois et de pierre pour sublimer la souffrance sans la cacher. Je ne suis pas la seule à avoir été bouleversée : ce stand modeste par rapport aux somptuaires réalisations de la plus prestigieuse manifestation horticole de Grande-Bretagne, si éloigné des designers triomphant dans toutes les revues d’horticulture, a obtenu un prix. Celui sans doute du courage et de la dignité des cinq jeunes qui sont, à ce jour, les seules sculptures issues d’êtres vivants du salon inauguré par la famille royale en mai 2016.
Le Chelsea Flower Show est une institution, le peuple jardinier se rend à la grand-messe annuelle du printemps. On se prend à rêver qu’un jour, un océan bleu d’ancolies, de campanules et de belles de jour sera bordé de rochers d’où se tendront des mains secourables.
Merci Nicole de ce partage
Une alliance réussie de ces bienfaiteurs autour d’une réalisation de l’art et de la nature pour sensibiliser le public sur la maladie et celles et ceux qui en souffrent
J’ai connu une jeune fille qui avait eu la méningite. Elle avait survécu mais avait des séquelles, et ses parents – alors il n’y avait pas de suivi psychologique ou d’éclaircissements, et c’étaient de braves gens de la campagne – continuaient à lui payer des études. Nous étions dans le même pensionnat externe, et je l’entendais ânonner sans relâche les questions et réponses pour se préparer à des examens qu’elle ne réussissait jamais, la pauvre. Elle était assise sur son lit, se balançant d’avant en arrière, lisant cette litanie à laquelle elle ne comprenait rien….
J’étais jeune, 17 ans à peine, mais je me rendais compte – et elle aussi, ce qui est le plus triste! – que cette pauvre fille ne voulait pas décevoir ses parents pour qui c’étaient sans doute de gros sacrifices que de lui payer les études et le pensionnat. Triste histoire….
Terrible et douloureuse histoire, mais qui ne m’étonne pas. Les séquelles de la méningite sont souvent très importantes, hélas.