Charmant arrive tout essoufflé au bas de l’escalier du château. Il n’en peut plus, maudites ronces, il collerait bien une amende au propriétaire, les risques d’incendie, il ne connaît pas ? Son cheval a refusé de l’accompagner, Charmant a chaud, soif, il est de mauvaise humeur :
— Holà de la maison, que l’on m’apporte un breuvage sur le champ !
Il rêve d’une cervoise bien fraîche apportée par une accorte servante. Personne ne répond à son impérieuse demande. Diantre, il n’y a donc personne dans cette gentilhommière ? Il s’avance, subjugué par le luxe de l’immense et silencieuse demeure. Soudain il s’illumine : il se trouve dans le château de la Belle au Bois dormant, ce que lui racontait sa nourrice n’était donc pas une histoire à dormir debout !
Ragaillardi le voilà qui monte l’escalier d’honneur à toute allure, il ouvre toutes les portes avant de tomber sur une chambre illuminée de soleil. Sur un lit à baldaquin repose la plus belle jouvencelle qu’il a jamais vue. Les joues roses, les lèvres tentantes, la chevelure blonde étalée sur l’oreiller blanc ourlé de dentelle. Voyons, se dit-il, si le reste est à l’avenant. Il écarte délicatement les draps et ce qu’il découvre lui échauffe le sang. Mazette, cet appétissant tendron dort depuis une éternité, elle ne va pas se réveiller de si tôt, il va en profiter. Il chasse de son esprit la nourrice avec son histoire de chaste baiser et, les sens échauffés, sa main gauche triture le sein droit de la Belle pendant qu’il insinue une langue fouisseuse entre ses lèvres.
Une violente douleur le fait reculer : la jouvencelle vient de lui mordre la langue et de lui broyer le bras gauche.
— Hors de ma vue, espèce de salopiaud !
Pendant que Charmant frotte son bras et avale le sang qui perle de sa langue, la Belle saute de son lit et le pousse hors de la chambre.
— On ne vous a pas appris ce qu’était le consentement, jeune freluquet ? Sortez d’ici tout de suite avant que mes gens ne vous mettent en pièces !
Charmant se dit qu’il va lui montrer de quoi il est capable, à cette arrogante donzelle, mais il entend une rumeur qui enfle : le château s’éveille. Des femmes en vêtements démodés accourent dans l’escalier avec des balais ou des couteaux de cuisine, Charmant s’enfuit, recevant un certain nombre de coups au passage. Pour finir il est sauvé de la vindicte féminine par les ronces qu’il avait maudites.
La nourrice avait oublié de lui préciser que le sexe faible ne l’était plus tant que ça et que la solidarité féminine s’organisait.