Exotisme et forêts glacées: Le terroriste noir, héros oublié

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Le terroriste noirVoici un voyage africain au cœur de l’hiver, voyage de ces tirailleurs sénégalais venus de toute l’Afrique et découvrant les rigueurs de l’hiver de l’Est de la France pendant la seconde guerre mondiale, voyage des lecteurs déconcertés par ce mélange d’Afrique et de terroir vosgien, de patois et de langue des griots.

L’écrivain guinéen Tierno Monénembo nous raconte l’histoire vraie d’un soldat du 12e régiment des tirailleurs sénégalais, Addi Bâ, qui s’est évadé après avoir été fait prisonnier pendant la bataille de la Meuse et a constitué en 1942 le premier réseau de résistance des Vosges, ce qui lui vaudra le surnom de « terroriste noir » par la Gestapo.

Il finira par être fusillé le 3 décembre 1943 avec son compagnon de résistance Marcel Arburger.

Là s’arrête la réalité historique et commence le roman.

Addi Bâ le jeune homme séducteur et réservé, né en Guinée en 1916 et adopté à treize ans par un fonctionnaire français, fait irruption dans la campagne vosgienne, au milieu de paysans qui n’ont jamais vu un noir auparavant. Voilà le mystère et l’exotisme, le frisson des femmes et la jalousie des hommes, voilà l’aventure qui débarque dans ces villages immobiles.

Impossible de ne pas penser aux griots africains dans ce livre : la narratrice est bien du cru mais sa façon de s’exprimer, même si elle est truffée d’expressions locales, fait penser à une incursion africaine au pays de la neige et le froid, comme si les forêts hostiles s’illuminaient d’une verve pleine de soleil.

« Vous a-t-on dit qu’avant son arrivée à Romaincourt, personne n’avait jamais vu de nègre, à part le colonel qui savait tout du cœur de l’Afrique et du ventre de l’Orient ? Non, vraiment ? Vous avez tout de même entendu parler du bastringue que cela faisait en ces années-là à cause des Boches, des Ritals, des Bolcheviques, des Ingliches, des Yankees, et des tas d’autres gens qui, tous, en voulaient à la France, et avaient décidé, allez savoir pourquoi, de mettre l’univers sens dessus dessous rien que pour l’emmerder ? Le fatras, Monsieur, le grand caillon, comme cela se dit chez nous ! Des morceaux de Lorraine en Prusse, la Lettonie accolée au Siam, des éclats de Tchécoslovaquie partout, des Kanaks sur la banquise, des Lapons près de l’Equateur, et lui, ici, dans ce trou perdu des Vosges, dont il n’entendit prononcer le nom que plusieurs mois après qu’on l’eut découvert gisant, à demi-mort, à l’orée du bois de Chenois ».

Germaine Tergoresse a connu Addi Bâ lorsqu’elle était adolescente ; c’est elle qui raconte les faits tels qu’elle les a compris au neveu d’Addi Bâ venu chercher la médaille de la Résistance du héros soixante ans après les faits.

Argument un peu mince, me direz-vous, mais le rendu de ces villages pleins de haine et d’ennui plongés dans l’Histoire, réveillés par ce jeune homme incongru au milieu de leur terroir, vaudrait à lui seul le détour.

Mais ce roman évoque aussi la terrible histoire des Tirailleurs Sénégalais, égarés dans un conflit qui ne les concernait pas plus que les Indiens de la Grande Bretagne, victimes du froid et du racisme des Nazis, subissant une double peine tragique.

Le personnage de Tierno Monénembo, hautement romanesque, est cependant parfaitement historique. Tout ce que l’auteur raconte sur la formation du réseau semble venir des meilleures sources.

Qui a donné Addi Bâ ? On ne le saura jamais, pas plus que dans tous les autres coins de France et ce pan de notre histoire est rendu avec une très grande subtilité.

Le premier maquis des Vosges a été organisé par un Noir : la reconnaissance plus que tardive de la République française méritait bien ce beau roman écrit par un Guinéen hommage à un autre Guinéen.

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