Jonathan Coe a eu la bonne idée de nous faire revivre l’Exposition Universelle de Bruxelles, la première après la seconde guerre mondiale, où la volonté de faire cohabiter les nations en pleine guerre froide reflétait l’optimisme belge pour la paix dans le monde.
Thomas Foley, 32 ans, bel Anglais coincé entre sa femme et bébé, sa maison de banlieue et son travail ennuyeux au ministère de l’Information, est choisi pour travailler à l’Expo. Il devra surveiller la bonne marche du pub britannique, le Britannia. Un faux pub bien sûr, comme tout le reste de l’exposition, du carton-pâte destiné à présenter la meilleure image possible de chaque pays. Les Belges ont eu l’heureuse (???) idée d’installer côte à côte les pavillons russe et américain. Très vite on se rend compte que tout le monde espionne tout le monde dans cet univers factice, ce microcosme fermé sur lui-même.
Thomas laisse donc femme et bébé dans la banlieue et découvre avec excitation les personnages qui vont pimenter son séjour : Annecke la ravissante hôtesse belge, Emily, la belle actrice américaine vantant les aspirateurs et l’american way of life, le beau journaliste russe Chersky, le charmant Tony qui partage le bungalow de Thomas et s’occupe de la machine Zeta qui intéresse fort les Russes… Vous l’aurez compris on se trouve dans un univers où tout le monde est beau et menteur comme dans un James Bond. Thomas lit d’ailleurs Bons baisers de Russie…
Seulement la dérision l’emporte sur l’aventure. Thomas n’a rien d’un espion, c’est plutôt le pantin naïf qui ne comprend rien à rien, navigant entre excitation et sentiment de culpabilité à l’idée qu’il pourrait tromper sa femme. Si le journaliste est en fait un colonel des services de renseignements russes et la ravissante manipulatrice d’aspirateur une dangereuse espionne américaine, il y a aussi les Dupont et Dupont du service de renseignement anglais.
L’échange de lettres entre Thomas et sa femme Sylvia ne manque pas de saveur, Thomas se félicitant que le voisin soit un peu trop présent auprès de la femme seule, la femme au foyer admirant son mari qui approche tant de ravissantes créatures. Humour anglais, on aime ou pas, moi j’aime :
« Thomas chéri, Quel plaisir d’avoir de tes nouvelles, et dans une lettre si pleine de détails passionnants. Servir à boire au London Symphony Orchestra ! Les journaux ont beaucoup parlé des hôtesses belges et de leur rôle dans la Foire. Une collection de jolies filles, visiblement. Est-ce qu’elle parle bien anglais, cette Anneke, ou est-ce que tu as appris le belge pour elle ? (…) Quel dévouement, cette Anneke, qui t’accorde tant de temps. (…) De mon côté, je ne mène pas une vie aussi mondaine, et de loin. J’avais dit à Mr Sparks que j’avais mauvaise conscience à ne pas aller visiter ma cousine (…). Mais Norman est venu à ma rescousse – sa gentillesse n’a pas fini de m’étonner. (…) il a vaillamment proposé de garder Bébé (…) Adorable, non ? Il faut dire qu’il a passé pas mal de temps auprès d’elle ces dernières semaines.
Chère Sylvie, Merci pour ta dernière lettre, quoique les nouvelles de Béatrix soient plutôt préoccupantes. (…) Sparks a été fichtrement chic de te garder la petite pendant ce temps-là. Franchement je n’aurais jamais deviné qu’il soit du genre à savoir s’occuper des bébés mais, à mieux y réfléchir, il y a quelque chose de curieusement féminin, chez lui, c’est donc assez logique ».
Ce roman aurait pu être un chef d’œuvre d’humour anglais. Il en prend le chemin puis ça dérape, ça patine, ça fait du sur-place. Est-ce parce que Jonathan Coe peine à rendre vraiment ce microcosme de l’Exposition universelle ? Cela fait un peu vide, notre héros se déplaçant fort peu à part une promenade à bicyclette et un passage délirant où il est enlevé dans une Coccinelle par un espion maladroit. Cela manque de brio et de vitesse malgré des éléments intéressants, un peu comme une pièce de Courteline où les portes ne claqueraient pas toutes les trois minutes, si vous voyez ce que je veux dire.
Il y a aussi cette mélancolie qui perturbe la légèreté du propos : la mère de Thomas lui demande de prendre une photo du champ de boutons d’or à côté de la ferme de ses parents, ferme détruite et famille massacrée par les Allemands pendant la guerre, une photo pour conserver une image de ce passé. Mais la photo ne lui convient pas, ce n’est pas le bon pré… Le thème de la photo revient plus tard, avec la photo d’Annecke prise par les services de renseignement pour faire pression sur Thomas. Il a succombé au charme de la belle hôtesse mais il est revenu auprès de sa femme. La fin du roman est poignante de nostalgie : le sentiment de n’avoir pas fait le bon choix, d’avoir raté sa vie, de considérer que le seul moment où le héros a vécu c’est pendant cette Expo 58. Cette tristesse poisseuse de la fin du livre étonne, déstabilise ; plus d’humour, seulement les regrets d’un vieil homme seul survivant de toute cette histoire avec l’amie d’Annecke, Clara :
« Ce que je me rappelle le mieux de cette journée, c’est que je me suis sentie… invisible. Emily et Annecke étaient si belles, et vous trois, vous les trois hommes, vous ne m’avez pas accordé un regard. » Elle parlait d’une voix tranquille, presque guillerette. « Oh, certes, j’avais l’habitude. Mais d’un autre côté, on ne s’habitue jamais. Ça fait toujours mal. De savoir qu’on a un physique quelconque dans un monde obsédé par la beauté. »
Merci pour ce compte-rendu critique comme vous savez si bien le faire…un peu triste au demeurant et qui semble manquer d’une véritable énergie vitale (le livre, pas vos propos:-)
L’expo 58, j’ai pleuré pour y aller avec mon père, mais j’étais si petiote que ma mère a préféré me garder près d’elle …j’ai gardé la nostalgie de ce rendez-vous manqué avec la petite histoire de mon pays.
Je suis retournée en pèlerinage sur ces lieux que je n’avais pas connus, en 2008 pour la commémoration, j’y ai fait des tas de photos pour revivre cette ambiance : les lieux, les affiches…
http://saravati.skynetblogs.be/archive/2011/03/08/d-en-haut.html
Votre photo est très belle, Saravati.
C’est vrai qu’il manque quelque chose à ce livre, je dirai plutôt qu’il révèle la fragilité de l’auteur au moment où il l’a écrit.