Au fond d’une impasse proche du Jardin du Luxembourg dans le sixième arrondissement de Paris se trouve un paisible musée : c’est la demeure que le sculpteur Ossip Zadkine a occupé pendant quarante ans. Belle et douce demeure, jardinet hors du temps. Et là, noyé dans la verdure, un homme au torse déchiqueté lève les bras aux ciel, hurle des imprécations silencieuses et on ne sait si le corps de bronze qui laisse passer la lumière a connu les arrachements de la chair. Le sculpteur d’origine russe a transcrit dans le bronze ce que j’essaie de dire à travers mes mots : l’horreur de la guerre, ses dégâts dont les conséquences n’en finissent pas de tordre les existences, d’altérer la perception des survivants, des enfants des survivants, dans une longue litanie dont la violence semble ne jamais s’éteindre.
Ossip Zadkine a visité Rotterdam en juin 1947 alors que la ville, rasée en 1940 par les bombardements allemands, affichait encore tous les stigmates de la destruction. Lui qui était parti en Amérique en 1941 contraint par le danger (il était d’origine juive) et avait ressenti cet exil avec une intense culpabilité, éprouva un choc d’une violence terrible devant cette ville martyre:
L’image de la ville et des rues annihilées de Rotterdam me poursuivait. Rentré à Paris, je modelais en terre un projet de statue qui tentait d’exprimer le désarroi et l’horreur mêlés.
Dans l’atelier silencieux de sa petite maison, entendait-il les hurlements des blessés ? les sirènes ? les détonations des explosions ? Son premier projet étant détruit pendant le transport, il refait aussitôt un autre « projet de monument pour une ville bombardée » et la sculpture est installée le 15 mai 1953 à Rotterdam. Elle mesure plus de six mètres de haut. C’est la maquette en bronze qui figure 100 bis rue d’Assas et saisit les visiteurs.
Dans le jardin où pépient les moineaux, un homme grandeur nature lève les bras au ciel et sa douleur contient tous les hurlements de ceux qui ont subi la folie de la guerre. De toutes les guerres.
J’ai rencontré beaucoup de gens dans mes conférences, après avoir écrit Mission et Calvaire de Louis Favre, la biographie de ce résistant admirable, et certains m’ont confié de terribles histoires ! Je les ai transcrites avec mes mots, moi qui n’ai pas connu cette période. Il ne manque que la maquette de couverture à ce recueil pétri de la douleur et du courage de ceux qui ont été marqués par la guerre. Pour avancer vers la vie il faut refuser la guerre, pas l’oublier. J’ai été tentée de mettre le visage de cet homme tordu par la souffrance sur la première de couverture, mais sa force-même aurait phagocyté les histoires plus intimes (même si la violence est la même) de ce recueil.
La statue d’Ossip Zadkine, ce chaos de douleur, ce torse torturé qui laisse passer le ciel, menace les hommes et supplie Dieu. À moins que ce ne soit l’inverse. Regardez-la. Et n’oubliez jamais son message.
Merci du partage sur l’oeuvre de ce sculpteur