Le vin de la colère divine ou l’apocalypse d’un gamin de vingt ans

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 Apocalypse est un mot grec signifiant révélation, c’est le titre qu’on donne aux livres dont le propos est de révéler la destinée de l’humanité, la fin d’un monde et l’avènement d’une ère de justice. Le titre du roman de Kenneth Cook, Le vin de la colère divine, nous vient tout droit de l’Apocalypse de Jean et trouve des échos flamboyants et atroces, des résonnances multiples avec  le dernier livre du Nouveau Testament.

 

La destinée de l’humanité et la fin d’un monde, c’est la jungle du Vietnam, le vin noir et orange du feu du napalm qui dévaste la jungle, l’horreur qui pétrifie le narrateur très catholique de cette  apocalypse  hantée et le lecteur fasciné par l’intensité de ce court roman. Quant à l’avènement d’une ère de justice, nous pouvons oublier.

Nous ne connaîtrons jamais le nom du narrateur dont l’identité se résume à quelques données : « Elevé dans le système catholique, j’ai côtoyé exclusivement des catholiques. Ma mère était une catholique française, ce qui n’est pas si mal, mais mon père était catholique à la virgule près, sans doute la pire variété qui soit (…). Toute ma vie on m’a fait croire que le seul mal dans ce monde, était le communisme athée. »

Il faut éliminer le mal pour créer un monde de justice, le narrateur a dix-neuf ans et il s’engage pour le Vietnam. Après un an de préparation militaire, on l’envoie à la guerre.

« Le premier coup de feu offensif que l’on entend ressemble à tous les autres coups de feu. Sauf que le premier coup de feu offensif que j’ai entendu allait dans le sens inverse des balles auxquelles j’étais habitué. Et qu’il a emporté la moitié de la tête du soldat marchant derrière moi ».

Bienvenue au Vietnam, bienvenue dans la fin du monde d’un gamin de vingt ans. Le feu biblique moderne est répugnant : «En quelques minutes, la fumée devint telle que la vallée entière se tortillait comme un être vivant. Elle ressemblait à une gigantesque limace verte tachetée d’un sang jaune qui suintait là où le napalm l’avait touchée ».

Ce livre restitue d’une manière hallucinante dans sa brièveté la sensation d’irréalité, l’horreur, l’atrocité de la guerre, le chaos de sang et de morts où se détruit un monde où personne ne se comprend, non seulement les adversaires mais les membres d’un même camp. Les soldats sont tous là pour des raisons différentes et si certains frôlent le sublime et la folie, comme Karl, le militaire pacifiste, d’autres raisonnent de manière si sommaire qu’ils sont proches de la débilité. Et le héros décoré fera partie de cette dernière catégorie. On est loin de la fraternité affiché des hommes virils qui vont faire une guerre juste !

Le narrateur (impossible de dire le héros, dans un tel contexte) s’attache à sa foi, essaie de comprendre ce que fait Dieu dans un tel enfer, ce que Dieu attend de lui. Ce qui nous vaut de magnifiques pages  de casuistique du prêtre de la compagnie affirmant que le soldat gagnera son paradis s’il réussit à aimer son ennemi avant de le tuer.

Ce que je viens d’écrire laisserait à penser que le narrateur a du recul face à ce qu’il vit. Il n’en est rien. Il se trouve dans cet enfer comme un gamin de vingt ans, naïf et sensible, effaré, essayant de garder une part d’humanité face à un cadavre d’enfant bourré d’explosifs qui explose quand sa mère le prend dans ses bras,  face à  ce peuple qu’il ne comprend pas, à cette guerre qui réduit l’homme à la survie animale.

Un gamin catholique fervent qui essaie de trouver un sens au Mal,  plein de culpabilité et d’interrogations, pétrifié face au vin de la colère divine.

« J’avais tué un homme que je connaissais./ Que faire quand on est en pleine bataille et qu’on découvre une chose pareille ? Doit-on s’asseoir et pleurer ? Finir par avoir la décence de se faire sauter la cervelle ? Dire une prière pour l’âme de sa victime ? Hors de question. On s’aperçoit soudain que les autres s’enfuient sans attendre leur reste, et on leur court après. Si vous êtes un porc fini, vous jetez même un coup d’œil au type que vous avez tué pour voir s’il a une gourde. Je ne l’ai pas fait. Mon Dieu, je Vous en supplie, dites-moi que je ne l’ai pas fait… Si ? »

Je connaissais l’écrivain pétri d’autodérision qui nous racontait des histoires désopilantes sur le bush australien. Je viens de découvrir un grand écrivain qui maniait le coup de poing et l’interrogation métaphysique comme personne. Ce livre terrible va me hanter longtemps.

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