Maigrir ? une solution express : les urgences de l’hôpital public

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Les beaux jours approchent, vous avez quelques kilos à perdre ? Inutile de vous lancer dans des régimes draconiens, le tantrisme ou la solution fakir, inutile d’acheter le dernier livre de recettes miracles, il y a beaucoup moins cher : l’hôpital.

Les ingrédients :

Une crise spectaculaire avec les moyens à disposition selon votre psychisme : convulsions, évanouissement, tension qui fait le yoyo, suffocation, douleur dans la poitrine.

Une arrivée dans le fourgon des pompiers, avec infirmières ultra sympathiques et les beaux pompiers. Inutile de vous faire l’article, la réputation de la forme somptueuse des individus ci-nommés n’étant plus à faire.

J’insiste : l’arrivée dans un véhicule de secours officiel est un ingrédient essentiel de la recette. Cela vous assure un transfert immédiat sur une civière : un – deux – trois et vous voilà embarquée comme dans un feuilleton américain alors que la salle des urgences regorge de malheureux qui attendent leur tour.

On brasse les ingrédients, abandonne à regret les pompiers et le personnel du secours médical d’urgence pour deux infirmiers débordés qui vous mènent dans une salle d’examen, vous font tout de suite un électrocardiogramme supplémentaire, vous enfilent un cathéter dans une veine au cas où vous feriez un infarctus (mais ils ne vous le disent pas) et vous pompent du sang pour diverses analyses.

–        Je préviens le médecin, il arrive.

Enfin, c’est ce que votre état de faiblesse et vos oreilles ont entendu.

C’est là que la recette miraculeuse de l’hôpital public se met en route.

Car vous restez des heures dans la salle d’examen éclairée par des néons, sans même une sonnette au-dessus de la civière sur laquelle vous vous trouvez pour appeler au cas où votre état empire.

Une heure passe, et puis deux. Vous essayez d’appeler, mais la porte est de bonne qualité, vous n’entendez aucun bruit et personne ne vous entend non plus à l’extérieur. Quand la panique vous gagne, – un accident bactériologique majeur a terrassé tout le monde, plus un être vivant dans l’hôpital, on vous a oubliée et vous allez mourir là, desséchée, jusqu’à ce qu’on vienne faire le ménage –, vous puisez la force de vous lever pour essayer de trouver quelqu’un.

Vous ouvrez la porte, mais les lieux semblent déserts à part une dame qui attend et qui vous signale qu’ils sont tous partis par là-bas.

Retour à la civière. Le sol est très sale, il y a même une seringue cassée en deux à côté de la poubelle.

Encore une heure.

Votre vessie vous donne de l’énergie et cette fois, après avoir ouvert la porte et vu passer à toute allure un certain nombre de blouses blanches, vous accrochez une aide-soignante compatissante qui vous accompagne aux toilettes, car elle a vu que votre équilibre a connu des jours meilleurs. Elle vous ramène à votre salle d’examen, ramasse les deux morceaux de la seringue et les jette à la poubelle :

–        On est complètement débordés, les médecins libéraux ont fait le pont, il y a beaucoup d’urgences, on n’a pas le temps de nettoyer entre les patients.

–        Je voudrais prévenir mon mari, ça fait des heures que je suis là, il doit s’inquiéter, il est dans la salle d’attente, il avait suivi l’ambulance avec la voiture.

–        Impossible : votre mari ne pourra vous rejoindre que lorsque vous aurez vu le médecin. Vous attendez depuis longtemps ? Comptez encore trois quart d’heures avant de voir le médecin…

Les néons blancs. Elle a oublié de fermer la porte et c’est un soulagement d’entendre la vie, même si c’est la vie souffrante, la vie douloureuse des hommes. Un enfant pleure, une femme dans le couloir est soignée pour des coliques néphrétiques.

Dans le couloir ? Oui, dans le couloir, et le médecin va, vient, la voix douce et rassurante.

Je me lève : le couloir est plein de lits, de proches debout à côté du lit. Les allées et venues, j’essaie de faire un signe, de montrer que j’existe mais je suis la femme invisible. J’avise enfin la sonnette à côté de la porte, à deux mètres cinquante du lit.

Au bout d’un quart d’heure, une apparition pressée :

–        Oui ? Je ne sais absolument pas ce que vous avez, ça n’est pas moi qui m’occupe de vous…

–        Je me sens mieux, je n’ai rien à faire ici, je veux partir ! Maintenant ! Je veux mes vêtements s’il vous plaît !

–        Le médecin va venir…

Cela fait aussi partie de la cure d’amaigrissement : le patient qui n’a rien bu ni mangé depuis des heures et qui est resté dans un isolement total pète les plombs. Un certain nombre de calories sont dispersées dans la nature, c’est scientifique.

Miraculeusement, dix minutes plus tard, mon mari surgit :

–        J’ai réussi enfin à rentrer en disant que je venais te chercher, j’ai essayé trois fois de passer mais j’ai été refoulé.

L’interne de service le suit de peu, examen rassurant :

–        Vous pourrez partir dès que les analyses de sang seront faites et confirmeront le diagnostic.

–        Elles seront terminées quand ?

–        Ah, je pense qu’ils ont dû attendre que je leur donne le feu vert… Tout sera prêt dans une heure et demie. On va venir vous chercher et on vous mettra dans le couloir, on a besoin de la salle d’examens, on est débordés.

L’infirmière vient rapidement, elle a réussi à manger à deux heures et demie, mais n’est pas allée aux toilettes depuis huit heures du matin. Elle pousse habilement un lit, insère le mien, s’il reste dix centimètres entre les différents lits c’est le maximum. Tout le couloir est plein. Quelqu’un demande :

–        Pourquoi vous avez des lits dans ce couloir ? Il y en a d’autres ?

–        Ce couloir est plein, l’autre aussi, et l’espace devant les ascenseurs, et toutes les salles d’examen sont prises. Les urgences, c’est le plus grand service de l’hôpital, vous savez…

J’attendrai encore deux heures et demie avant de revoir l’interne. Pendant tout ce temps je verrai passer des infirmières et des infirmiers qui essaieront de détendre l’atmosphère, ils rient mais ils passent d’un lit à l’autre, d’une personne souffrante à l’autre, réglage de perfusion, on vous emmène au scanner, c’est juste une précaution, et ils cavalent, ils cavalent…

Pendant ce temps, personne ne mange ni ne boit.

J’aurai passé huit heures aux urgences sans boire ni manger, d’autres sont restés plus longtemps. Les urgences ne sont pas un service de restauration. Tant que vous n’êtes pas officiellement hospitalisé, ce qui peut prendre des heures : régime sec.

Je vous l’affirme : rien ne vaut les urgences pour maigrir rapidement.

Les urgences en tant que patient, mais en tant que personnel soignant cela ne doit pas être mal non plus…

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