Plautilla Nelli femme peintre de la Renaissance

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En ce temps de Pâques, je vous propose une Cène unique au monde. Elle a été peinte par une artiste du XVIe siècle, Plautilla Nelli (1524-1588). Cette sœur dominicaine issue d’une riche famille de marchands florentins a peint à l’huile la seule Cène connue peinte par une femme.

Détail de la Cène de Plautilla Nelli, domaine public, via Wikimedia Commons

Le tableau est immense, presque sept mètres de long sur deux mètres de hauteur (670 × 195 cm exactement) et il était très endommagé lorsqu’il a été découvert. En cliquant sur le tableau, vous verrez la Cène en grand et vous pourrez en admirer tous les détails. Son étrangeté devrait vous surprendre : cette Cène ne ressemble pas aux autres, celles que tant d’artistes de la Renaissance ont imaginée.

Concentrez votre attention sur la table du repas, cette immense table où le Christ préside son dernier repas. Admirez tous les plis de la nappe soigneusement repassée et amidonnée par des servantes attentives. Laisser les plis et les cassures des angles formant un nombre impressionnant de carrés n’est pas une négligence de l’artiste, seulement la façon d’installer une nappe à l’époque, et ces innombrables carrés avec leurs croisillons, le pli marqué au niveau du plateau de la table, tout cela crée un mouvement. La nappe semble presque danser et la table dressée acquiert un volume amplifié par les variations de la lumière. La vaisselle est raffinée – vestige sans doute de l’éducation aristocratique de Sœur Plautilla – la délicatesse des verres, la finesse de leurs pieds, les grands plats en céramique contenant l’un un cochon de lait et l’autre de la verdure, tout cela est d’une vérité saisissante.

Passez maintenant aux visages anxieux, les mains, les pieds nus et même l’avant-bras musculeux d’un apôtre. La lumière est belle dans cette pièce aux boiseries sombres, et le Christ console Jean, visage aux traits quasi féminins et aux yeux fermés. Pourtant, quelque chose gêne un peu. Jésus et les Apôtres n’ont pas de véritable présence. Les visages manquent de détails et les mains sont un peu douces pour des mains d’hommes.

L’auteure de ce tableau, Pulisena Nelli n’est plus sortie du couvent où elle est entrée à l’âge de quatorze ans. Lorsqu’elle prononce ses vœux elle prend le nom de sœur Plautilla. La jeune religieuse aime peindre, elle est très douée, l’époque constitue une chance pour elle, d’une certaine façon. Le prédicateur Savonarole incite les religieuses à peindre des scènes religieuses pour occuper leur esprit. Plautilla anime alors un atelier de sœurs artistes et crée elle-même nombre d’œuvres d’art religieux. Bientôt la vente de ces tableaux constitue la principale ressource du couvent. Elle finira d’ailleurs par diriger celui-ci. Mais Plautilla est condamnée à interpréter les copies de tableaux religieux qui se trouvent dans le couvent, sans modèles masculins à disposition.

Même si elle n’était pas entrée au couvent, Pulisena n’aurait pas pu suivre une formation de peintre chez un maître. Les femmes n’avaient pas le droit de regarder des modèles masculins, pas le droit d’étudier l’anatomie des cadavres, pas le droit d’être membres d’une confrérie. Et bien sûr aucun statut juridique personnel.

Sur le coin supérieur gauche (ce n’est pas visible sur la reproduction) sœur Nelli fait quelque chose d’étonnant ; elle signe sa toile à l’aide d’une inscription en latin : « Soeur Plautilla – priez pour l’artiste ». Plautilla s’affirme en tant que personne et en tant qu’artiste ! Il est vrai que sa puissante personnalité a marqué le couvent Santa Caterina da Siena.

Plautilla Nelli domine nombre de peintres de la Renaissance malgré le handicap d’être née femme et de ne pas avoir eu le droit d’étudier d’après nature. Les apôtres représentés sur son gigantesque tableau auraient gagné en force, sans doute, et en vérité ce qu’elle a été obligée d’imaginer et d’imiter, mais ses portraits religieux féminins sont merveilleux.

Certaines de ses œuvres ont été retrouvées dans un état lamentable. Des tableaux recouverts par les excréments des rats et des pigeons, voilà en quelle estime on tenait les femmes peintres de la Renaissance. Grâce à la fondation AWA (Advancing Women Artists) dont je vous parlerai une autre fois, un certain nombre de toiles de ces artistes négligées, méprisées, ont repris vie, dont la Cène de Plautilla. Celle-ci est visible conservé au musée de Santa Maria Novella à Florence.

« Priez pour l’artiste » et pour toutes ses semblables.

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