Qu’est-ce qu’un écrivain ? Un être solitaire penché sur son écritoire-ordinateur, angoisse de la création et surtout de la publication ? Frank Giroud dément tous les poncifs, lui qui fournit des univers plus vite que son ombre, de la chanson au polar, du western au complot politique et j’en passe. Frank Giroud (hélas, aucun lien de parenté) se multiplie dans une galaxie d’univers avec une puissance d’invention qui laisse pantois.
Il nous a offert il y a quelques années un véritable bijou avec le scénario de la bande dessinée Quintett. J’aimerais vous rappeler ce beau moment de littérature graphique toujours disponible aux éditions Dupuis.
L’histoire de ce Quintett se déroule, comme il se doit, sur cinq mouvements donc autant de volumes. Pour l’accompagner dans ce travail d’une grande richesse, Frank Giroud a confié le dessin et les couleurs à différentes équipes : Cyril Bonin pour le premier volume, Histoire de Dora Mars, Paul Gillon pour le deuxième, Histoire d’Alban Méric, Steve Cutor pour l’Histoire d’Élias Cohen, Jean-Charles Kraehn pour l’Histoire de Nafsika Vasli et Giancarlo Alessandrini pour le dernier mouvement, La chute.
L’expression de sensibilités différentes ne nuit pas du tout à la cohésion de l’ensemble. Chaque volume se lit avec passion tant Frank Giroud maîtrise l’art de la narration et du suspense.
Chaque volume nous offre le point de vue du personnage qui a participé à la tragédie de Pavlos, sur la base aérienne de la zone neutre de Macédoine, en 1916. Moment oublié de l’histoire de la première guerre mondiale où la Grèce oscille entre tentations germaniques et indépendance. On découvre que beaucoup de Grecs ressentaient l’installation des alliés comme une occupation. Faut-il rappeler que le scénariste est agrégé d’histoire et ancien élève de la prestigieuse école des Chartes ? L’érudition n’est jamais lourde tant elle est intégrée dans la personnalité de ce surdoué.
La première histoire est celle de Dora Mars, jeune chanteuse naïve qui est tombée amoureuse d’Armel, viveur cynique aviateur de son état. Lorsque le théâtre aux armées lui propose de venir chanteur pour distraire les soldats sur la base des Balkans où se trouve Ariel, Dora n’hésite pas. Sur place, un « quintett » sera formé. La suite va basculer dans la tragédie. Ce volume est celui de Dora, mais on a compris dès la première page que son histoire fait partie d’une autre histoire, beaucoup plus complexe, avec citations d’un livre de Paul Ricoeur sur Le music hall à l’épreuve du feu.
Le deuxième mouvement concerne Alban Méric, spécialiste d’histoire byzantine, lieutenant qui tombe amoureux de son ordonnance, le jeune Manolis. Alban est le violon du quintet animé par la clarinette d’Élias le mécanicien, la voix de Dora et le tambouras de Nafsika la belle aubergiste. Quant au piano… Vous découvrirez dans La chute les véritables ressorts des crimes qui ont eu lieu sur la base et qui ont durablement impacté la vie des membres du Quintett.
Dans les séries, il est difficile d’échapper à la sensation que l’auteur allonge la sauce pour aller au bout de son succès. Rien de tel avec ces cinq volumes dont chacun est très dense. La narration de cette bande dessinée est une merveille. Construction solide, raffinée, tortueuse sans artifices. Quant à la réalisation graphique, c’est époustouflant. Chaque personnage imprime son tempo, les lettres d’Élias à sa mère, par exemple, restituent l’écriture appliquée de qui n’est pas familier de l’écrit.
Impossible de décrire la richesse de l’histoire, ses rebondissements et inclusion des personnages dans une réalité qui les dépasse. Le dernier mouvement est un final à la hauteur de l’ensemble.
L’été est le bon moment pour récupérer ce qu’on n’a pas lu et qui était remarquable. Ce Quintett éblouissant est une valeur sûre de la BD. Faites-lui une place dans votre bibliothèque, vous ne le regretterez pas. Pour rappel, Frank Giroud a obtenu en 2002 le prestigieux Max und Moritz du Meilleur Scénariste International, rejoignant le club des Pierre Christin, Alan Moore et Jean Van Hamme. Une valeur sûre, et un très beau moment de lecture, pas seulement pour l’été.
Je suis souvent tentée en effet par les BD pour adultes, et il me semble que j’aimerais assez ceci aussi… seule chose peut-être est le passage d’un artiste à l’autre pour les tomes, mais en même temps, on comprend la démarche…