La Suisse est le pays de la démocratie directe par excellence : on vote pour tous les éléments de la vie citoyenne au niveau fédéral (les lois concernant l’ensemble de la Suisse) mais aussi au niveau des cantons, par exemple pour la rénovation d’une route ou la construction d’un immeuble. Les Suisses votent très souvent pour les articles les plus divers qui régissent leur vie. Lorsqu’un groupe de citoyens, parti politique ou association de circonstances, est mécontent d’un état de fait, il lance une initiative et s’il obtient un nombre de signatures de citoyens suffisant, le peuple vote. Le Conseil fédéral peut aussi proposer une modification de la constitution, mais le peuple est souverain, ce qui implique nombre de surprises. C’est ce vote par exemple qui a refusé l’entrée de la Suisse dans l’Europe.
Dans le cas présent, l’initiative « contre l’immigration de masse » initiée par l’UDC, le parti d’extrême droite helvétique, a été approuvée par 50,3% des Suisses qui ont voté. Le taux de participation de 55,8% est un niveau extrêmement élevé pour la Suisse ; on n’avait pas vu ça depuis Schengen et les accords sur la libre circulation.
On aboutit ainsi à une contradiction très forte : la Suisse qui est le pays où le nombre d’étrangers est le plus important d’Europe montre sa peur de l’autre et approuve un texte de l’extrême droite. De quoi faire rêver Bleue Marine.
Les régions les plus concernées par les populations étrangères, les villes et les régions frontalières, ont refusé le texte xénophobe de l’initiative ; ce sont les populations des campagnes de Suisse allemande et le Tessin qui ont voté massivement pour. S’agit-il d’un vote d’extrême droite, puisque celle-ci est à l’origine de l’initiative ?
Le vote du Tessin voisin de l’Italie procède du rejet de tout ce qui vient de Berne : le Conseil fédéral avait manifesté son opposition à l’initiative. Les campagnes de Suisse allemande, les dernières à accorder le droit de vote cantonal aux femmes alors qu’elles l’exerçaient depuis des décennies au niveau fédéral, ces campagnes qui ne voient que rarement un étranger ont voté par peur de ce monde qui évolue trop vite à leur goût et qui leur fait peur. La nostalgie de Heidi dans ses montagnes et la peur de la mondialisation.
Franchement, lorsque ma voisine, une paysanne catholique et très sympathique m’explique qu’on va être envahis par les Roms alors que nous habitons un hameau perdu de montagne, quand je lui demande si elle en a vu et s’ils lui ont volé quelque chose, je ne vois pas beaucoup de différences avec le vote de la campagne suisse allemande.
Les Suisses font envie au reste de l’Europe ; leur taux de chômage tient du rêve le plus fou, leur prospérité attire des entreprises du monde entier, la banque fédérale doit lutter pour que le franc suisse ne s’envole pas. Aucune médaille ne peut briller des deux côtés. Mais le pragmatisme helvétique surprendra encore le reste du monde, j’en suis sûre.