Dans une autre vie Ioan était un célèbre photographe présent sur tous les fronts de guerre ou de catastrophes naturelles de la planète. Sur ses clichés, aucune présence humaine, aucune mise en scène de la détresse des humains. Seulement la brutalité de la destruction.
Et puis Ioan est devenu à son tour un territoire dévasté après la mort de son fils disparu en mer. Sa belle-fille Gina a coupé les ponts et Ioan n’a plus jamais revu son petit-fils Valentin. Ioan s’est réfugié dans les Cévennes, il remonte de manière obsessionnelle des murettes de pierre. « Il a depuis longtemps sectionné au plus profond de sa conscience les racines qui le relient aux siens.
Ni ascendant ni descendant. Etre une entité close sur soi-même, le seul moyen qu’il ait trouvé pour ne pas sombrer. D’autres choisissent la folie. »
Mais voilà que le téléphone sonne : Gina lui demande de retrouver Valentin, dix-sept ans, qui fugue à Barcelone.
Le fragile édifice de la tranquillité s’écroule. Ioan part en quête de ce petit-fils qu’il n’a pas vu depuis douze ans dans les squatts de Barcelone. Bien vite la quête de cet enfant se transforme en recherche plus complexe : Ioan recherche autant l’adolescent que la vérité sur son propre père ; dans la Barcelone contemporaine on n’en finit pas de liquider le passé de la guerre civile tout en vivant intensément.
C’est une plongée dans l’Histoire, celle de la guerre civile avec l’aspect mal connu des massacres des anarchistes par les communistes qui ont combattu à leur côté, mais aussi une histoire d’hommes à laquelle nous convie Frank Pavloff, filiation difficile, reconnaissance, pardon. En même temps nombre de femmes aident la recherche et le passage dans ce livre dont l’héroïne semble la ville même, avec ses voleurs et ses révoltés, ses personnalités obsédantes et la Sacrada Familia la figure tutélaire.
« La basilique se rappelle à nous. Elle gémit, siffle, hurle de tous ses poumons, claironne. On vante l’architecture primitive et avant-gardiste de Gaudi mais quand tu vis ici tu comprends que cette église a été élevée avant tout pour faire chanter le vent. Les tours ont chacune leur tonalité les courbes et les bosses des façades vibrent au diapason, la pierre et le ciment accordent leurs timbres, le bronze des portes monumentales sonne les graves, la céramique affûte les aigus ».
Rien de touristique dans cette balade, mais du vivant, du douloureux, de l’idéaliste aussi. La jeunesse est en marche et désire un autre monde, Ioan approuve sa révolte, avance dans sa découverte de ce bouillonnement perpétuel, et en même temps il avance vers une forme d’apaisement : « On n’hérite pas de la faute de ses parents, pas plus qu’on ne détermine l’avenir de ses enfants ».
Il y a de telles richesses dans ce beau livre poétique et douloureux ! Ne passez pas à côté de cette interrogation très fine sur le passé et ses implications dans notre vie.
« Si le passé ne revient pas il ne se gomme pas non plus, c’est dans cet espace incertain que les hommes s’évertuent à ajuster leur vie ». »