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Un jardin en Australie, correspondances et liens entre deux femmes

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Il y a longtemps, en Australie, une femme a planté des citronniers de Sicile.

L’incipit de ce jardin en Australie de Sylvie Tanette est un appel à l’imaginaire et à la surprise : des citronniers de Sicile en Australie, en plein cœur de l’île-continent, chaleur extrême, désert et sable rouge ?

Elle vivait à peu près au centre de l’actuel État du Territoire du Nord, dans une région où le paysage se résume à une plaine aride, un désert de sable rouge et des collines écorchées. Au XIXe siècle, des colons ont édifié ici la petite cité minière de Salinasburg, et son agglomération s’effiloche aujourd’hui sur plusieurs kilomètres.

Les lignes suivantes pour vous montrer le style de l’autrice, tout en épure, avec des trouvailles subtiles de peintre – cette agglomération qui s’effiloche – !

Virginia Woolf parlait d’une chambre à soi, ici il s’agit d’un jardin à soi, mais c’est la même exigence de liberté, à soixante-dix ans de distance, pour deux jeunes femmes dans ce « lieu d’où les morts ne partent pas » selon les légendes aborigènes.

Très jeune, Ann a quitté la vie bourgeoise de sa famille à Sydney pour suivre le beau Justin dans « le cœur violent » de l’Australie, dans le Territoire du Nord. Très vite son ambition de créer un jardin verger qui révolutionnerait l’économie de la région devient dévorante… C’était dans les années 30, Ann est morte depuis longtemps, mais elle reste dans cette maison déglinguée, incapable de quitter le rêve de son jardin, cette obsession qui a dirigé sa vie et peut-être contribué au désastre final.

Soixante-dix ans plus tard surgit un jeune couple français dont le mari Frédéric vient de trouver un poste de médecin dans la petite ville, quant à sa femme Valérie, elle va diriger un centre d’art contemporain.

J’ai enjambé la barrière pour aller faire le tour du jardin, j’étais envoûtée. La maison semblait avoir traversé toutes sortes de cataclysmes mais elle était là, avec ses murs pâles et sa galerie de bois. Autour on devinait les vestiges d’un ancien verger envahi de broussailles, un potager retourné à l’état sauvage. C’était un désordre d’herbes sèches et de ronces, de fleurs aussi. J’ai remarqué quelques arbres fruitiers, des agrumes. Une clématite magnifique s’agrippait à un pilier. Ensuite c’était le désert et tout au fond on voyait les Hills. L’endroit était magique. Frédéric, je l’ai vu à son sourire, avait deviné. Je voulais vivre ici. (p. œœœhttps://www.grasset.fr/livre/un-jardin-en-australie-9782246818403/28)

Le jeune couple s’installe dans ce lieu dont personne ne veut avec sa petite Elena. Valérie ambitionne de mettre la région en valeur grâce au festival et aux artistes aborigènes qu’elle découvre. Elle se met à défricher le jardin, voudrait lui restituer la splendeur qu’elle devine. Cela l’aide à lutter contre son inquiétude de mère : sa petite Elena ne parle pas alors qu’elle a trois ans.

Les chapitres se succèdent et s’enroulent comme la clématite sur le pilier de la maison. La vie des deux jeunes femmes s’enlacent, l’une cherchant à connaître la vie passée de celle qui l’a précédée en ce lieu, l’autre cherchant à protéger celle qui vient d’arriver. Les deux femmes possèdent beaucoup de points communs : rejet de leur famille d’origine, volonté d’exister par elles-mêmes et de créer quelque chose de grand. Petit à petit, avec beaucoup de subtilité et de sensibilité, l’autrice nous dévoile la vie de ces deux femmes.

Et il y a le jardin, ce lien magnifique par-delà le temps, symbole d’une liberté toujours à conquérir.

Un jardin en Australie
Sylvie Tanette
Grasset, mars 2019, 180 p., 16,90 €
ISBN : 978-2-246-81840-3

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