Un album de mangas ? Oui, ces bandes dessinées si différentes de ce que nous connaissons en Occident, avec des grands yeux et des visages souvent inexpressifs qui nous semblent maladroitement dessinés, des visages occidentaux stéréotypés avec des bouches à peine esquissées, pas de dents, deux traits pour les lèvres et puis c’est tout. Des visages dessinés par un Japonais pour qui les Occidentaux se ressemblent, apparemment. Au fait, que donne une bande dessinée créée par un Occidental mettant en scène des Japonais ?
Les mangas de Taniguchi sont japonais, façon de vivre et habitat japonais, mais le reste est universel. La douleur, l’absence, le regret, la mort. Tout cela est décrit, contourné, exposé d’une façon qui vous prend à l’estomac. Souvenez-vous de Quartier lointain par exemple. Taniguchi dessine les sentiments humains, utilise son propre vécu ou celui des autres et explique les mécanismes de la création qu’il peut définir à la fin de l’album avec une grande honnêteté.
Dans le cas de Terre de rêves dont le titre français ne concerne que le dernier chapitre, il s’agit de son chien qui venait de mourir et des aventures d’un alpiniste. Terre de rêves est un recueil reprenant cinq nouvelles déjà publiées en édition japonaise en 1992. Les trois premières concernent des animaux : les derniers mois du chien du couple puis l’adoption d’une chatte, puis l’impossibilité de faire adopter ses chatons. Et en filigranes le portrait de ce couple sans enfant qui sait qu’il va vieillir dans la solitude. La fugue de leur nièce qui vient s’installer chez eux au chapitre 4 souligne par le vent de fraîcheur qu’elle apporte tous les non-dits qui peuplent la relation du couple. Nous, nous devrons vieillir à deux… Nous ne pouvons pas dire que nous n’y pensons jamais…
Le dernier chapitre n’a rien à voir avec le reste, c’est du remplissage pour former un volume. La passion d’un alpiniste qui doit gravir une dernière fois la montagne pour revenir enfin vraiment à la vie de famille et affronter le quotidien.
J’aime les mangas de Taniguchi, le mélange d’irritation devant les dessins de visage et d’émerveillement pour la subtilité des sentiments humains m’inspire et me déstabilise. Les mangas de Taniguchi pour moi c’est un voyage à travers l’humanité, un mélange d’étrangeté et de fraternité, l’expression de sentiments auxquels nous sommes tous confrontés, mais contournés sans relation frontale. Par exemple le chien. Rien ne nous est épargné des excréments, odeurs, paralysie, on a envie de dire « Assez ! » La déchéance physique de ce membre de la famille, nous la suivons pas à pas. L’euthanasier ? Il ne souffre pas. Alors le couple l’assiste jour et nuit malgré les tensions occasionnées par la fatigue. On parle du chien. Mais cela pourrait concerner n’importe quel membre de la famille…
La mort, le deuil, la solitude, la vie qui reprend, les rêves qui prennent leur envol et puis la réalité de la vie. Ce n’est que la vie, quotidienne, triviale, douloureuse et tendre, ce n’est que la vie, dessins épurés d’intérieurs japonais mais quelle chronique de nos vies !