Un écrivain japonais pas très catholique : Dany Laferrière

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L’éditeur s’impatiente : où en est l’auteur de son livre ? Nulle part mais l’auteur titre plus vite que son ombre, ce sera Je suis un écrivain japonais. Pourquoi un écrivain japonais ? Question subtile pour un écrivain caribéen qui se revendique avant tout comme écrivain, adoptant la façon de penser de son lecteur et sa nationalité comme un caméléon, « Du moment que je ne sois pas cet écrivain nu qui pénètre dans la forêt des phrases avec un simple couteau de cuisine ».

Tout s’embraie avec subtilité et humour : comment connaître le Japon où il n’a jamais mis les pieds ? Grâce à sa littérature, bien sûr. Il y a eu Mishima pendant l’adolescence, maintenant c’est Basho, – La Route étroite vers les districts du nord –, dans une traduction de Nicolas Bouvier. Un voyageur japonais du XVIIe siècle traduit par un voyageur suisse du XXe siècle lui-même auteur des Chroniques japonaises pour aider quelqu’un ne quittant guère son lit ou sa baignoire.

On voyage dans le temps et l’espace en compagnie du poète japonais et de son traducteur dans ce texte qui nous promène autour de la littérature en train de se faire, de la notion relative de la réalité pour un écrivain, de ses ficelles qui finissent par faire une corde d’où le livre finira par se hisser à la force des coïncidences et autres rencontres de l’imagination.

Parfois cela tourne au délire, avec les Japonais intéressés par ce non-livre qui n’est pas en train d’être écrit par un noir (racisme, racisme…) qui affirme : Je suis un écrivain japonais. Les Japonais adorent être à la pointe de la modernité. Et voilà messieurs Mishima et Tanizaki, membres du consulat du Japon en train de pister notre écrivain, mais aussi Platon et Hélène de Troie, la fille du concierge, et surtout  le groupe de jeunes japonaises un peu suicidaires qui gravitent autour de la chanteuse Midori. Le dit groupe reprenant un petit film que l’auteur a commis, manière de rappeler que la matière première d’un romancier est la vie-même, que tout se recycle dans la création.

Las, comment être noir sans éprouver d’angoisse vis à vis de la police ? les vilains policiers arrivent, bien sûr, dans cette histoire où on ne sait plus où l’on se trouve, sinon que l’écrivain nous balade, même quand il prend un bain, ce qui lui arrive souvent. Il y a aussi un tueur réservé qui offre à l’écrivain les bottes et le livre d’un autre écrivain:

« Sa phrase se faisait, selon la saison, lasso ou filet. Selon qu’il était cow-boy ou pêcheur. Il entrait dans la rivière, paraît-il, avec ses bottes. (…) Il écrivait comme il pêchait. Il se plantait au milieu du livre et ne bougeait plus. De temps en temps, on sentait un léger frémissement. Un poisson venait de mordre à l’hameçon. Le problème, c’est qu’on ne voyait jamais le poisson. Il s’arrangeait pour le laisser filer en douce… la pêche, l’écriture. »

Quelle belle leçon de littérature !

Mais est-ce vraiment un roman ? Probablement pas. Je dirai plutôt une fabrique de littérature, un atelier où on nous présente les outils et le matériau de la création, les savoir-faire et les difficultés. Sans aggraver les souffrances de l’auteur, les affres de la création ne semblent pas trop douloureuses :

« Couché, je feuillette les magazines en notant des scènes et des noms dont j’aime la graphie et la musique. J’ai fini par aligner : Eiko, Hideko, Fumi, Noriko, Tomo, Haruki et Takashi  (…) C’est à ce moment-là que j’ai commencé à monter la petite cour autour de Midori. Un roman rêvé. Tout se passe derrière mes paupières au moment de la sieste. Tout allait bien jusqu’à ce que j’aie commencé à penser que quelqu’un devait mourir. Pourquoi ? Aucune raison particulière. Ça roulait trop bien. Il me fallait intervenir pour briser le rythme afin de faire mienne cette histoire. Toujours s’approprier l’histoire. Pour que la littérature existe vraiment, il faudrait que les livres soient anonymes. Pas d’ego, plus d’intervention personnelle. Vous verrez. Alors j’ai sorti Noriko du groupe. Maintenant il faut faire face à la question du temps. La question fondamentale pour un roman. Pour la vie d’un individu aussi. Quand va-t-on mourir ? (…) Moi, je sais quand Noriko va mourir, mais je ne dois rien laisser paraître. Pour obéir à la règle du suspense. (…) Il suffit, je crois, de veiller à un certain équilibre. Je vois de mieux en mieux l’histoire, ce qui manque, c’est une perspective. Une bonne raison d’écrire un tel livre. Je me demande à quoi tout ça rime. Et pourquoi toute cette agitation ? On s’agite dans le livre, et on s’agite hors du livre. Pourtant, je n’ai pas bougé du divan ».

Et alors, me direz-vous, est-ce qu’il le termine, ce roman ? Lisez-le, vous verrez bien.

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