Véronique, fleur d’Eric

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Véronique d'Eric

Victor abuse de ma bonté et je sens l’irritation et l’angoisse pointer leur nez. Il a tendance à venir me trouver un peu trop souvent, le fils de mon amie Georgette, et je ne sais si c’est la mort de sa mère ou la mise à la retraite qui le travaille. Il a pourtant profité joyeusement de sa profession de cantonnier, loin du stress et du surmenage, le visage bronzé par nos belles montagnes qu’il a toujours eu le temps de parcourir et le regard serein des pêcheurs en eau vive. Une petite tendance à la dive bouteille, ­ difficile de faire autrement quand on est fils de vigneronne – mais une absence d’embonpoint pourtant courante à son âge dûe au fait qu’il a toujours travaillé au grand air.

Je m’égare. La vérité c’est que Victor a entrepris le siège de Marguerite Letourneur, anthogrammate depuis toujours. Que lui a raconté exactement sa mère, lorsqu’elle avait un peu abusé de son Ayze ? Les bulles font monter l’alcool plus vite au cerveau, c’est bien connu… J’ai toujours pensé qu’un cantonnier ne lisait jamais et ne savait pas trouver un renseignement dans une encyclopédie, je suis punie de mon mépris inconscient.

Chaque fois qu’il me rend visite, désormais Victor m’apporte des fleurs. Cette fois c’est un bouquet de véroniques en épi violettes, veronica spicata blaufuchs pour les intimes, spicata du latin spica qui veut dire en épi et véronique pour la sainte qui a essuyé le visage du Christ.

Je m’égare encore. Ce diable de Victor a cueilli son bouquet en montagne où elle abonde en ce moment, mais je suis sûre qu’il n’ignore pas la signification de la véronique, ce mécréant patenté.

Depuis que cette brave Véronique a essuyé le visage du Sauveur, visage qui s’est imprimé dans son linge, elle a encouragé sans le savoir tous les amoureux obstinés de la planète, comme si un geste tendre restait imprimé dans leur rétine et dans leur cœur. Depuis des siècles la véronique représente une fidélité obstinée.

Pense à moi, Marguerite, je t’aime toujours, et ces épis de véronique violets doivent t’indiquer la profondeur de mes sentiments. Je suis têtu, Maguy, tu ne te débarrasseras pas aussi facilement de moi.

C’est sûr. Quand on voit la vitalité de la plante qui peut tapisser des coins entiers, je peux me dire que je ne suis pas débarrassée avant longtemps de l’ami Victor.

Il me sourit en ce moment, avec tendresse, un beau sourire qui me chavire le cœur plus que de raison le bougre.

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