Vœux pétaradants

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En ces temps de vœux, de feux d’artifices et de pétards, une petite nouvelle à méditer… 

Les marins contemplent les boules hérissées de piquants flottant entre deux eaux : ce sont des mines sous-marines équipées d’hydrophones, une des nouveautés de cette année 1943 depuis que les Etats-Unis sont entrés dans la guerre. Les spécialistes de l’armement ont concocté cette petite merveille de technologie : l’hydrophone transforme les oscillations acoustiques en oscillations électriques. Les U-boots allemands ne sont pas signalés à proximité de la côte est des Etats-Unis d’Amérique mais on peut tout attendre de ces diables de nazis, au moindre bruit de machine, navire de surface ou sous-marin, boum ! l’explosion, le feu d’artifice, la surprise du chef.

–        Pour ce que ça va servir, grommelle le quartier-maître Jérémy Stettson, surnommé « Grognon » par ses camarades de chambrée, on sait bien que les Allemands ont certainement déjà trouvé la parade à nos mines !

–        Arrête, « Grognon », les Allemands peuvent toujours essayer de nous envahir, ils vont avoir le comité d’accueil…

L’équipage du Pilgrims’ Surveyor, vient de terminer sa mission. C’est la guerre sur la mer, une guerre pleine d’inventions techniques des deux côtés des belligérants.

Les mines acoustiques posées font partie du réseau de surveillance des côtes américaines, à la moindre explosion l’amirauté sera immédiatement prévenue et la défense du territoire s’activera.

Une seule obsession : la mer ; l’ennemi sous-marin, le U-boot qui va saborder les bateaux de la Navy et le cuirassier outrecuidant venant bombarder la côte. On épie le ciel et l’eau, on attend l’attaque.

La menace ne tarde pas à se concrétiser : une explosion se fait entendre, puis une autre, et encore une autre !

Les téléphones s’activent, le pire est arrivé : les Allemands sont là ! Toutes les sirènes hurlent, les canons des batteries sont dirigées vers la côte, les puissants projecteurs balaient la nuit.

Toutes les mines posées la journée par « Grognon » et son équipe ont explosé, il n’y a pas de hasard.

Deux navires de reconnaissance se rendent sur les lieux de l’attaque pendant que le haut-commandement est prévenu.

Nuit noire. Silence radio.

Pas de navire, il doit s’agir de sous-marins.

Tension à bord, le sonar se met au travail, les marins s’attendent d’une seconde à l’autre à l’attaque.

Une heure passe, et puis deux, et puis trois, et le jour se lève, aube grise et calme plat.

Pas de tache d’huile. Pas de bruit non plus. Seulement quelques cadavres de maigres, ventre scintillant à l’air, la seule livrée gris-vert de ce matin de mai vient de l’océan.

Personnellement je ne comprends pas très bien comment Argyrosomus regius, le grogneur connu également sous le nom de courbine, ce poisson gris-vert au ventre argenté qui peut mesurer près de deux mètres et peser cent kilos, est appelé « maigre ». Est-ce dû à sa chair qui rappelle un peu le bar et qui ne rend pas de gras ? Je n’ai pas de réponse.

Le maigre reste au bord de la côte, il aime bien son petit coin et n’embête personne, croquant petits poissons et crustacés pendant la nuit et se reposant le jour. Il se déplace, et encore, pas de sur de longues distances, uniquement pour changer d’eau et trouver femelle aux œufs accueillants au printemps…

Ce poisson à la chair délicieuse est surnommé le « grogneur », parce qu’il fait résonner sa vessie natatoire en agissant sur un muscle, un véritable chant des sirènes qui attire les femelles… et les prédateurs humains. Dans l’estuaire de la Gironde, au mois de mai, on peut voir des pêcheurs l’oreille collée contre le fond de leur bateau. Ils ne sont pas devenus fous, ils écoutent le grognement appel de l’amour et repèrent ainsi les bancs de maigres.

On ne doit pas beaucoup pêcher en temps de guerre, encore moins coller son oreille au fond d’une barque pour repérer les grondements et autres pets de communication des occupants marins… les mines ont explosé à cause des cris des maigres ou « grogneurs », perturbés par l’irruption de ces objets insolites dans leur environnement habituel.

Moralité de cette histoire vraie : Puissants de ce monde, écoutez les grognements et les cris venus des profondeurs, autrement certaines situations pourraient bien exploser.

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