Chronique d’hiver ou les petits cailloux de l’angoisse

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Avec Chronique d’hiver Paul Auster impose l’inscription du corps dans l’espace et le temps, les fluctuations de la vie à travers celui qui nous accompagne de la première à l’ultime seconde, entre surprise, apprentissage, plaisir et souffrance.

Le texte forme une boucle, un univers tautologique dont le corps est le signe de l’angoisse, de la peur du vieillissement et de la mort.

« Tes pieds nus sur le sol froid au moment où tu sors du lit et vas jusqu’à la fenêtre. Tu as six ans. Dehors, la neige tombe et les branches de l’arbre dans le jardin derrière la maison sont en train de devenir blanches ». Première page du roman.

« Tes pieds nus sur le sol froid au moment où tu sors du lit et vas jusqu’à la fenêtre. Tu as soixante-quatre ans. Dehors, l’air est gris, presque blanc, pas de soleil en vue. Tu te demandes : combien de matins reste-t-il ?

Une porte s’est refermée. Une autre porte s’est ouverte.

Tu es entré dans l’hiver de ta vie ». Dernière page du roman.

Ce « Tu » obsédant, sans cesse tenu comme une note dérangeante, ce « Tu » nous parle de nous, parce que tous nous connaîtrons ou connaissons cette angoisse, ce vertige devant le corps qui devient faible, la déchéance que nous ne pouvons nous masquer.

Bien sûr Paul Auster utilise le matériau de sa vie : enfant juif américain né juste après la guerre, avec le poids de la Shoah lorsqu’il se trouve en Europe, en particulier en France, avec ces morts qu’il sent crier lorsqu’il visite le camp de Bergen-Belsen. Mais aussi le base-ball et la soupe à la tomate Campbell’s, Brooklynn et les femmes de sa vie. Et les lieux, la liste obsessionnelle des lieux qui m’a fait penser au « Je me souviens » de Perrec, la même volonté de s’enraciner, de s’inscrire quelque part, dans des lieux sinistres ou dérisoires, avec les dates, les moments et les personnes de sa vie.

Les femmes, bien sûr, la plus contradictoire de toutes, la mère, et un hommage amoureux à celle qui le rassure depuis trente ans.

« La fin de la vie est amère » (Joseph Joubert, 1814)

Paul Auster reprend deux fois cette citation, une des seules dans le livre de cet homme qui a consacré sa vie à la littérature.

Ce livre est la chronique d’un homme qui sème des petits cailloux pour ne pas se perdre dans la forêt de l’angoisse.

Ce livre honnête, sensible, obsessionnel et d’une délicatesse extrême tourne autour de la notion de la vie, du temps de notre vie, avec une très grande richesse.

Chronique d’hiver
Paul Auster
traduit de l’américain par Pierre Furlan
Actes Sud / Leméac, mars 2013, 192 p., 22,50 €
ISBN : 978-2-330-01632-6

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