Mitraillettes anglaises et tronches savoyardes

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Dimanche fatal aux Glières

Crédit Cabédita

Vous allez être désorientés.

Rien que du montagneux, du têtu, du roublard et du tragique dans ce livre qui ne ressemble à rien de ce que vous connaissez.

Vous avez entendu parler des Glières, cette fameuse bataille sur une montagne de Haute-Savoie où la Résistance a été écrasée par l’armée allemande à un contre cinquante… Non ? Et le pèlerinage de notre président aux Glières, symbole de l’héroïsme national, cela vous dit quelque chose, je suis sûre…

Le livre dont je vous propose la lecture a été publié chez un petit éditeur suisse, vous ne le lirez que si vous le commandez chez votre libraire favori ou chez l’éditeur lui-même.

J’ai oublié de vous dire qu’il ne s’agit pas d’un roman mais d’une véritable enquête de terrain des auteurs pour découvrir ce qui s’est réellement passé aux Glières en mars 1944. Ce travail a dérangé beaucoup de monde dans les hautes sphères du département : on ne s’attaque pas impunément à un mythe national et aucun compte-rendu du livre n’a été publié malgré la notoriété de Robert Amoudruz habitué à d’autres façons.

Pêle-mêle, voici ce qu’est ce livre :

D’abord une enquête passionnante et rigoureuse qui se lit comme un roman policier, avec un résistant que tout le monde essaie de réduire au silence depuis plus de soixante ans. Robert Amoudruz ne le ménage pas, souligne ses contradictions, son caractère difficile qui l’empêche de se faire véritablement entendre de la toute puissante Association des Glières. Imaginez un groupe d’hommes plus ou moins chenus en train de crapahuter dans la montagne un détecteur de métaux à la main pour contrôler les dires d’André Gaillard, le rescapé des Glières. Soixante ans après la guerre la forêt a regagné du terrain, les mémoires se sont effritées et la toute puissance du mythe de la grande et glorieuse bataille a tout étouffé.

Ensuite une plongée dans ce monde révolu dont la dureté de la vie nous semble inconcevable. Robert Amoudruz est roublard, sa belle et limpide écriture tient parfois des Mille et une nuits, au début vous ne comprendrez pas pourquoi il faut qu’il vous raconte d’où viennent les gens dont il vous parle et comment ils vivaient dans ces alpages reculés, mais très vite vous serez embarqués et vous n’aurez plus envie de vous arrêter.

Enfin une approche de la caboche savoyarde, car les deux auteurs sont des purs produits du terroir, aussi solides que leur pays de montagne, ils ne lâchent rien, vous allez découvrir de sacrés caractères ! A ce sujet je n’ai parlé que de Robert Amoudruz, l’auteur de l’enquête, connu et reconnu en Haute-Savoie pour ses enquêtes de terrain.

Il faut parler à présent de Jean-Claude Carrier, l’auteur de la deuxième partie du livre qui contient un glossaire historique et abréviations ainsi que les biographies sommaires des principaux acteurs du livre. Jean-Claude est le fils de Jean-Claude Carrier dit Jean Carrier, mort les armes à la main pendant que sa femme sautait du brasier qu’était devenue leur maison, son bébé Jean-Claude dans les bras. Le Général de Gaulle a faits Compagnons de la Libération pour leur action dans le département deux hommes, le premier était Tom Morel, l’autre Jean Carrier. Le premier était un militaire justement honoré, l’autre un ébéniste socialiste, grand résistant de la première heure, qui a subi une redoutable Omerta, un silence de plus de soixante ans.

Le fils a voulu comprendre ; il a fait un travail de titan aux archives nationales, civiles et militaires pendant plus de dix ans et a constitué une énorme banque de données dont il entend faire une encyclopédie sur la Résistance. C’est un personnage. Surtout ne ratez pas l’épisode de l’inauguration du monument des Glières par André Malraux, quand Jean-Claude, flanqué de Résistants qui n’ont pas été invités, vient troubler l’ordonnance de la belle cérémonie. Vous allez vous étrangler de rire, je vous le promets.

Le travail de Jean-Claude Carrier, en deuxième partie de l’ouvrage, constituera une véritable référence, et toute personne s’intéressant à l’histoire de la Résistance ne peut que saliver d’impatience et attendre la suite.

Un seul conseil : si vous ne vous intéressez pas vraiment à l’Histoire de cette période, sautez le florilège de publications sur les Glières, cela ne vous apprendra rien et vous aurez une fausse idée de l’ouvrage. Plongez dans l’enquête, régalez-vous avec ces personnages hauts en couleurs, sans vous en rendre compte, vous vous trouverez à côté de gamins qui ont juste voulu fuir le STO (le service du travail obligatoire) et qui se trouvent dans un environnement hostile, dans la neige, en plein désarroi.

Ce cafouillage finit en tragédie.

Ceci n’est pas une fiction mais une tranche de notre histoire, la vraie, pas celle que l’on voudrait nous faire avaler.

Bonne lecture à tous !

Dimanche fatal aux Glières. 26 mars 1944.
Amoudruz, Robert/Carrier, Jean-Claude
Éditions Cabédita, 2011, 25,60 €
ISBN : 978-2-88295-604-0

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