Archives par étiquette : Patrick Gabarrou

Rencontres au sommet : Patrick Gabarrou et consorts

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La plupart des séances de dédicaces dans les librairies donnent lieu à de riches échanges, mais vendredi passé, à la librairie Jules et Jim à Cluses, ce fut particulier. C’était le rush des cadeaux de Noël, le moment où chacun(e) s’active à trouver le livre qui fera plaisir à la personne que l’on aime. Aucune solitude malgré la pluie diluvienne pour l’écrivain devant sa petite table.

Une dame s’est approchée : son mari était alpiniste, elle voulait lui offrir L’Envol du sari. Une autre écoutait. Lorsque la première m’a demandé si j’avais rencontré des alpinistes, je lui ai parlé de l’une des premières versions du roman où je mentionnais Patrick Gabarrou, « l’homme aux trois cents premières ». La deuxième personne est intervenue : elle connaissait bien le guide dont je venais de parler, son père avait fabriqué les premiers crochets en aluminium qui ont remplacé les crochets en fer forgé, et c’est Patrick Gabarrou qui les avait testés ! Nous nous sommes mises à échanger, toutes les trois ; je ne connais rien à la haute-montagne, j’ai le vertige, et là, en face de moi, deux femmes dont la montagne était partie intégrante de leur vie… Qu’est-ce que cela fait au quotidien d’être l’épouse d’un guide de haute-montagne ? Qu’est-ce que cela fait de voir la vie de toute sa famille tourner autour de la montagne ? Continuer la lecture

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Sacrifice numéro un : la danseuse du Malabar Princess

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J’admire les écrivains qui couchent leur roman sur le papier sans états d’âme, d’un seul jet, comme Stendhal couchant La Chartreuse de Parme sur le papier en cinquante–huit jours. Un roman sorti tout droit du cerveau de son auteur, sans redites ou contradictions, sans remords d’écriture, avec la certitude jubilatoire du juste.

Hélas, j’écris par coup de cœur, incapable de suivre un plan, ce qui m’oblige à réécrire mon texte un nombre impressionnant de fois tant je me retrouve régulièrement dans une impasse. Il y a pire encore : les chapitres que l’on aime d’amour et dont il faut se séparer parce que l’économie du texte l’exige. Je hais le mot économie, je hais plus encore d’être obligée de me soumettre à son diktat.

Des rapaces et des hommes s’inscrit dans le cadre des deux catastrophes aériennes qui ont marqué la vallée de Chamonix ; mais on ne peut tout écrire : le lecteur se lasserait. Le lecteur français, puisque le lecteur Américain par exemple n’a pas peur des pavés où il trouvera des informations foisonnantes. Le grand Victor Hugo écrivait ainsi, dans la jubilation de l’excès, mais qui lit encore ses digressions savantes et souvent passionnantes ?

Pour Des rapaces et des hommes, j’ai dû amputer mon texte, comme d’habitude, et je vous livre ici l’un des chapitres sacrifiés, dans l’attente de vos réactions. Bonne lecture !

VIII La danseuse du Malabar Princess

Les deux prêtres avançaient lentement, pieds nus dans la boue chaude et collante mêlée de bouse, oppressés par la chaleur et les odeurs de poisson pourri. Ils allaient de village en village au bord de la mer d’Oman, obsédés par la pluie, le rythme de la pluie sur le sol auquel répondait la respiration de la mer.

Ils avaient dépassé Mangalore, les pieds dans la boue et l’âme en transe, la pluie ruisselant sur leur robe safran, lorsqu’ils la virent. Elle pouvait avoir cinq ou six ans et portait un panier sur la tête contenant un filet avec des bouchons de liège ; elle avait surgi d’un sentier qui venait de la mer, tête immobile et grâce infinie, les eaux grises de la mer d’Oman haletant dans son dos. Aucun tressaillement de l’osier ou du liège : une danseuse immobile traversant les énormes gouttes d’eau sans même les sentir et rétablissant la fluidité de l’air.

C’était elle. Une fille de pêcheur. La transaction ne serait pas longue. Continuer la lecture

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