Comment parler littérature alors que des bombes tombent sur des écoles ? J’aurais envie que les enfants terrifiés découvrent le Codex Seraphinianus, qu’ils se plongent dans cette poétique étrangeté pour fuir le monde réel.
Oublier un instant, à travers le monde singulier de l’artiste italien Luigi Seraphini, les bombes et la haine et le sang. Dans ce monde extraordinaire les arbres s’ouvrent comme des avocats géants prêts à être dégustés, les mamans sereines accompagnent leurs enfants dans un jardin public peuplé de créatures la tête dans un cocon comme si rien ne pouvait blesser, dans ce monde-là.
L’étrangeté radicale de ce monde est décrite le plus sérieusement du monde dans une langue cursive imaginaire, douce à l’œil comme à la main qui a formé ces caractères dansant dans une farandole ailée. Personne n’a jamais pu décrire le Codex Seraphinianus publié pour la première fois par cet admirable esthète qu’est Franco Maria Ricci. Une encyclopédie imaginaire rédigée dans des caractères indéchiffrables, mais si beaux, si aériens ? Voilà qui pourrait permettre une évasion sans devenir fou : décrivez un monde inconnu si beau que la cruauté des hommes ne l’atteindra jamais.
Les images sont réservées, impossible d’en mettre quelques unes dans cet article. Allez faire votre choix parmi les éléments de ce monde qui n’existe pas, minutieusement décrit dans une langue qui n’existe pas plus. Une moisson de rêves silencieux où il n’y a pas de bombes, le rêve en couleur d’un artiste qui connaissait sans doute Tolkien et qui nous a livré une œuvre unique écrite avec des caractères indéchiffrables. Le refus absolu d’un monde absurde.
Codex Seraphinianus Luigi Serafini Ed.Rizzoli, New York 396p., 125 euros