Estomac et zygomatiques

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Comment j'ai mang mon estomacCher monsieur Bertrand,

Merci pour la recette de potage à base de fanes de radis. Délicieux, mon estomac en redemande.

À propos d’estomac, j’ai bien digéré le vôtre, quoique les sursauts intempestifs de mes zygomatiques m’aient dérangés tout au long de ma lecture. J’avoue que je ne m’attendais pas à un livre aussi drôle sur un cancer de l’estomac. Votre description précise du parcours de combattant du malade que vous avez été – différents hôpitaux, médecins, infirmières, traitements – ainsi que les annexes comme les dames patronnesses reconverties en visiteuses médicales maintenant que la religion n’est plus ce qu’elle a été, aurait pu nouer le mien, d’estomac. Il n’en a rien été.

Votre humour distancié, associé à une forme de gentillesse, j’allais dire de naïveté ou de bonté rafraîchissante, m’a secouée de rire malgré la gravité du sujet.

Après l’intermède lyonnais, il avait été convenu qu’on allait, dans le plus confortable des hôpitaux parisiens, me refaire un système digestif en opérant par la voix dite de Lewis (célèbre alpiniste de la chirurgie digestive ?), démarche qui consisterait à m’ouvrir la cage thoracique et à m’écarter les côtes. Plus quelques trous par-ci par-là, pour introduire des caméras, des ciseaux, des drains et je ne sais quoi. Je n’éprouvais aucune sympathie pour ce Lewis. (…) Sujet au mal de mer, j’avais une double prévention contre la chimiothérapie, mais je ne crus pas devoir discuter, sur le moment.

Votre humour fait merveille dans ce petit livre où le mot « douleur » n’est jamais prononcé et la réalité de la chose mise à distance pour ne pas gêner vos lecteurs. Mais la littérature, ah, la littérature, celle qui sauve quand la santé fout le camp, voilà que vous convoquez à votre chevet, dans le désordre, mais l’heure n’est pas à la logique, des écrivains de toutes époques et de tous horizons.

Je me souvenais de Gide, dont le directeur des études de la grande école s’était inspiré pour prévenir les étudiants de première année : « Ici, chacun suit sa pente, en la remontant ». Mon dieu, bien sûr. « Le but suprême du voyageur est d’ignorer où il va », prétendait Lie-Tseu. Thoreau précisait que celui qui n’a pas le sentiment de se rendre en Terre Sainte au cours de la moindre de ses promenades n’est qu’un vulgaire traînard.

Il faut bien ça pour supporter les insupportables attentes à tous les niveaux, que ce soit chez les médecins ou sur un fauteuil dans une salle d’attente (la cruellement bien nommée).

On vous installe dans un fauteuil roulant et vous devez attendre le voiturier. Il sera là dans une demie-heure, ou dans une heure ou deux. Il arrachera une couverture de votre lit pour vous en couvrir les épaules. En voyage ! Il vous abandonnera ensuite dans une salle d’attente bondée. Dans le meilleur des cas, vous serez radiographié dans une heure. Puis il vous faudra patienter jusqu’au retour du voiturier. Ça peut durer très longtemps.  La semaine précédente, une infirmière finit par m’apercevoir :

— Vous êtes encore là, vous ? Ça fait un moment…

— Deux heures, marmonné-je.

Elle téléphone.

— Il faut remonter un patient oublié en radiographie. (Se tournant vers moi) Désolée, il n’y a personne de libre dans l’immédiat, mais ça va venir.

Vous écrivez des lettres, vous aussi. À votre docteur, à la personne chargée de la chimio, vous demandez des faveurs, bref vous voulez vous sauver. Dans tous les sens du terme.

Vous avez réussi et nous en sommes heureux, vraiment heureux pour vous. Ne me remerciez pas, c’est très égoïste : j’ai envie de rire avec votre prochain livre.

Comment j’ai mangé mon estomac
Jacques A. Bertrand
Julliard, janvier 2014, 112 p., 14 €
ISBN : 978-2-260-02122-3

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2 réflexions sur « Estomac et zygomatiques »

  1. Edmée De Xhavée

    Oui… comme disait mon papa « quand ce sera fini, ce sera une bien bonne à raconter »… car il y a toujours des aspects horriblement comiques dans tout, et les mettre de côté pour les jours meilleurs est une bonne idée…

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Tout ne possède pas des aspects « horriblement comiques » (magnifique oxymore, bravo Edmée!)quand cela se termine par la mort, par exemple. Mais le reste du temps, mettre de côté les choses difficiles pour en faire quelque chose de drôle et de distancié, oui, c’est vraiment une bonne idée!

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