Les fissures de timidité, danse d’évitement des arbres

Shares

gilles-clementDans sa magnifique leçon inaugurale au collège de France du 1er décembre 2011, l’un des plus importants paysagistes de la planète, Gilles Clément, a donné une leçon d’humilité à tous les Jardiniers de la Terre : ne vous prenez pas pour des dieux ! La nature est beaucoup plus intelligente et savante que vous ne le serez jamais, alors collaborez plutôt avec ce qui vous dépasse.

Gilles Clément s’émerveille de la complexité du vivant, de la façon dont les organismes présents bien avant l’homme sur notre planète collaborent entre eux avec une intelligence stupéfiante, une sorte de génie naturel :

Par génie naturel, il faut entendre le pouvoir des espèces animales et végétales à régler naturellement leurs rapports en vue de se développer au mieux dans la dynamique quotidienne de l’évolution. La nature, dans sa complexité, a mis au point un nombre considérable de signaux, d’avertissements, de déclencheurs de réactions en chaîne, de régulateurs de surpopulations, d’assistances et de prédations qui « jardinent » le territoire sans aucune intervention humaine. Cette débauche d’énergie s’opère en réalité dans une économie d’échange, au rythme d’une musique naturelle que chacun peut entendre : le cri d’un oiseau, la stridulation d’un orthoptère, le vent dans un feuillage portant l’information masquée d’un prédateur ou d’un ami, la distance entre les frondaisons laissant voir le ciel (fig. 6). Tout est message.

Je retiendrai de cette magnifique leçon l’expression poétique de fissure de timidité empruntée faute de mieux au vocabulaire de la psychologie. Deux arbres qui poussent l’un à côté de l’autre grandissent, augmentent leur ramure mais ne se mélangent jamais : regardez dans une forêt, jamais vous ne verrez un réseau inextricable de branches ! Impossible de savoir comment les arbres se transmettent des informations et résolvent le problème lié à l’espace qui leur est attribué.

fissure-de-timidite

Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

La lumière résulte d’une mise à distance des frondaisons d’arbres adultes appartenant à la même espèce (ici, Samanea saman en Australie, au nord de Cairns). Cette mise à distance correspond à des échanges entre les houppiers. On ignore la nature et les raisons de ces échanges.

Gilles Clément a consacré sa vie à élaborer des jardins, toujours en recherche, toujours tendu vers plus de compréhension des phénomènes naturels. Dès 2017 le jardin qu’il a élaboré en Corse avec des scientifiques selon le « protocole de Cargèse » sera accessible à tous et les découvertes probables accessibles également à tous. Le « jardin planétaire » ne se marchandise pas. Je me demande ce que les grands firmes qui sont en train de breveter le vivant pensent de cette démarche…

Shares