Archives par étiquette : Nature

Transformation à Yellowstone, la vie à sa juste place

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Il n’est pas dans mes habitudes de vous présenter un livre de développement personnel, mon créneau c’est plutôt la littérature, exigeante de préférence. J’éprouve cependant le besoin de vous présenter celui-ci, loin de la littérature pessimiste et narcissique que j’ai lue ces temps-ci.

Voilà une bouffée d’air frais, très frais, puisque l’auteure nous embarque pour le parc national de Yellowstone en plein hiver. Dans ce paysage grandiose où les extrêmes se côtoient, ce parc national de tous les excès de la nature, quatre personnes sont réunies, portées par leur passion commune pour la nature et la photographie animalière.

Bien sûr ce voyage initiatique va révéler les failles de chacun des participants, mais on se laisse porter par la magie de ce voyage. On sent que Florence Coulin partage avec nous son émerveillement devant cette nature violente qui dépasse tous les superlatifs, ses descriptions sont d’une précision jamais pesante, nous nous laissons porter par le texte, et ils sont devant nous, ces wapitis, coyotes, loups et bisons, ils sont là tous les autres êtres vivants qui tentent de survivre à la rigueur de l’hiver. Manger et être mangé, les scènes décrites peuvent sembler cruelles, mais elles ne sont jamais complaisantes ou forcées. Nous apprenons beaucoup de choses sur les loups ou les bisons par exemple, mais ce n’est pas du tout pesant.

Les bisons, poussés par le froid et la difficulté de trouver de quoi manger sous cette épaisse couche de neige, venaient souvent pâturer près des sources chaudes. S’ils avaient accès à de l’herbe, pouvant pousser sans neige pour les recouvrir grâce à la vapeur d’eau chaude volcanique, cela avait un prix. L’eau était chargée de fluor de silice qui abîmait leurs dents. La silice faisait l’effet de petites particules de verre pilé et érodait les dents beaucoup plus vite que normalement. Ces bisons vivaient mieux, mouraient moins durant l’hiver, mais avaient une durée de vie plus courte que les autres habitants de plaines non volcaniques. (p.78)

Ce n’est pas un livre de Sylvain Tesson, mais un livre de développement personnel. Les personnages du texte vont trouver un autre sens à leur vie, mettre leurs problèmes à leur place et tenter de les résoudre en prenant du recul. Avec honnêteté Florence Coulin ne prétend pas tenir une baguette magique entre les mains, mais elle donne mine de rien d’excellents conseils dont tout le monde peut profiter. Profitez à votre tour de l’optimisme et de l’amour de la vie qui se dégage de ce joli livre, ce sera un rayon de soleil dans votre bibliothèque.

Transformation à Yellowstone
Florence Coulin
Éditions Baudelaire, janvier 2021, 112 p., 13,50 €
ISBN : 9791020337986

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Peinture en absence

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Il a neigé mesquinement. Une pellicule, à peine trois centimètres, juste pour transformer le jardin et assourdir les piaillements des moineaux. Teinte grise, ciel plombé, métaphore du froid. Le rouge-gorge s’approche de la porte vitrée : jamais ce timide peureux ne vient près de la maison. Éclat de son plastron, reflet trompeur : il semble dodu, tout rond, comme s’il s’était gavé alors qu’il lutte contre la faim et le froid et domine sa peur par nécessité. Il est très vite chassé par les moineaux et les mésanges, jamais il ne se défend. Je me demande toujours par quelle obstination et quelles ruses cet éternel vaincu réussit à subsister durant l’hiver.

hiver-1Les moineaux s’éparpillent dans l’amélanchier à peine ont-ils picoré. Branches tordues, branches grêles entrelacées abondamment squattées ; le gang des moineaux s’évertue à garder la place et réussit fort bien à imposer sa loi. Ne parlons pas de ce pauvre rouge-gorge, pas plus que de ces teignes de mésanges qui remporteraient le territoire si elles n’étaient pas toujours à s’étriper. Continuer la lecture

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Mautam, la mortelle floraison des bambous

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bambou-noirIls sont très beaux toute l’année, si graphiques avec leurs cannes noir et leurs feuilles vert tendre… Les bambous noirs du jardin, c’est l’irruption d’un pinceau asiatique dans la campagne occidentale.

Lorsqu’on achète Phyllostachys nigra en jardinerie, aucune mention de sa floraison. Il est vrai que celle-ci est tout sauf spectaculaire : imaginez des sortes de hampes verdâtres qui pendent au bout des tiges comme des mousses malsaines. Une autre raison sans doute plus importante justifie le silence des notices : la floraison du bambou entraîne la plupart du temps sa mort. Ce qu’il y aura de particulier en ce qui concerne le bambou noir des jardins, c’est que depuis 1932 on le multiplie seulement par rejet, sur toute la planète…

Lorsque le bambou noir fleurira, ce qui n’est pas arrivé depuis 1932, tous les pieds fleuriront en même temps et mourront sans doute en même temps. Une extinction massive appelée Mautam en Asie où le phénomène connaît des connaissances autrement dramatiques que dans nos jardins d’agrément.

800px-bamboofloweringDans le nord-est de l’Inde, Mautam (qui signifie « mort du bambou ») est une malédiction cyclique : tous les 48 ans les grandes forêts de bambous sauvages qui couvrent le tiers du pays fleurissent et meurent. Cet événement est immédiatement suivi par une terrible famine : une fois les graines de bambous épuisées, les rats envahissent les villages. Ils n’ont plus rien à manger dans les forêts de bambous et dévorent tout sur le passage. Tous les 48 ans la population attend le phénomène, et l’absence de réactions des autorités a d’ailleurs provoqué de violentes révoltes. La dernière floraison a eu lieu en mai 2006 et le gouvernement a mobilisé l’armée pour prévenir la famine.

Il est possible que l’action des rongeurs soit un mécanisme de contrôle biologique : ils dévorent toutes les graines de tous les chaumes de bambous, y compris celles qui auraient pu fleurir en dehors de la période de floraison, ce qui a un impact positif sur leur fertilité. Une fois qu’ils ont épuisé cette manne, ils se tournent vers les parcelles cultivées, d’où la famine.

Le Mautam de 1958-59 a provoqué la mort d’une centaine de personnes et ravagé la région. On estime que la population a tué au moins deux millions de rats.

La mort redoutée mais attendue du bambou noir dans les jardins n’aura sans doute pas des conséquences aussi dramatiques, mais si vous connaissez de grandes bambouseraies dont le bambou noir est l’espèce dominante, précipitez-vous pour observer ce phénomène que vous ne reverrez pas de si tôt…

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Les fissures de timidité, danse d’évitement des arbres

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gilles-clementDans sa magnifique leçon inaugurale au collège de France du 1er décembre 2011, l’un des plus importants paysagistes de la planète, Gilles Clément, a donné une leçon d’humilité à tous les Jardiniers de la Terre : ne vous prenez pas pour des dieux ! La nature est beaucoup plus intelligente et savante que vous ne le serez jamais, alors collaborez plutôt avec ce qui vous dépasse.

Gilles Clément s’émerveille de la complexité du vivant, de la façon dont les organismes présents bien avant l’homme sur notre planète collaborent entre eux avec une intelligence stupéfiante, une sorte de génie naturel :

Par génie naturel, il faut entendre le pouvoir des espèces animales et végétales à régler naturellement leurs rapports en vue de se développer au mieux dans la dynamique quotidienne de l’évolution. La nature, dans sa complexité, a mis au point un nombre considérable de signaux, d’avertissements, de déclencheurs de réactions en chaîne, de régulateurs de surpopulations, d’assistances et de prédations qui « jardinent » le territoire sans aucune intervention humaine. Cette débauche d’énergie s’opère en réalité dans une économie d’échange, au rythme d’une musique naturelle que chacun peut entendre : le cri d’un oiseau, la stridulation d’un orthoptère, le vent dans un feuillage portant l’information masquée d’un prédateur ou d’un ami, la distance entre les frondaisons laissant voir le ciel (fig. 6). Tout est message.

Je retiendrai de cette magnifique leçon l’expression poétique de fissure de timidité empruntée faute de mieux au vocabulaire de la psychologie. Deux arbres qui poussent l’un à côté de l’autre grandissent, augmentent leur ramure mais ne se mélangent jamais : regardez dans une forêt, jamais vous ne verrez un réseau inextricable de branches ! Impossible de savoir comment les arbres se transmettent des informations et résolvent le problème lié à l’espace qui leur est attribué.

fissure-de-timidite

Copyleft Gilles Clément, licence Art libre 1.3.

La lumière résulte d’une mise à distance des frondaisons d’arbres adultes appartenant à la même espèce (ici, Samanea saman en Australie, au nord de Cairns). Cette mise à distance correspond à des échanges entre les houppiers. On ignore la nature et les raisons de ces échanges.

Gilles Clément a consacré sa vie à élaborer des jardins, toujours en recherche, toujours tendu vers plus de compréhension des phénomènes naturels. Dès 2017 le jardin qu’il a élaboré en Corse avec des scientifiques selon le « protocole de Cargèse » sera accessible à tous et les découvertes probables accessibles également à tous. Le « jardin planétaire » ne se marchandise pas. Je me demande ce que les grands firmes qui sont en train de breveter le vivant pensent de cette démarche…

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