Il a neigé mesquinement. Une pellicule, à peine trois centimètres, juste pour transformer le jardin et assourdir les piaillements des moineaux. Teinte grise, ciel plombé, métaphore du froid. Le rouge-gorge s’approche de la porte vitrée : jamais ce timide peureux ne vient près de la maison. Éclat de son plastron, reflet trompeur : il semble dodu, tout rond, comme s’il s’était gavé alors qu’il lutte contre la faim et le froid et domine sa peur par nécessité. Il est très vite chassé par les moineaux et les mésanges, jamais il ne se défend. Je me demande toujours par quelle obstination et quelles ruses cet éternel vaincu réussit à subsister durant l’hiver.
Les moineaux s’éparpillent dans l’amélanchier à peine ont-ils picoré. Branches tordues, branches grêles entrelacées abondamment squattées ; le gang des moineaux s’évertue à garder la place et réussit fort bien à imposer sa loi. Ne parlons pas de ce pauvre rouge-gorge, pas plus que de ces teignes de mésanges qui remporteraient le territoire si elles n’étaient pas toujours à s’étriper.
Un couple met tout le monde d’accord et prend la place. Il a adopté le jardin depuis deux ans, deux beaux oiseaux imposants, presque cinquante centimètres, superbes, dont l’envol laisse émerveillé. Chaque fois je suis suffoquée par le graphisme de leurs plumes, par cette harmonie en blanc et noir si parfaitement accordée à la neige.
Ils s’approchent de la nourriture, l’un après l’autre, avant de s’envoler dans l’amélanchier. Ils sont dix fois plus imposants que les moineaux, ils n’imposent pas leur présence, ils sont là, cela suffit.
Je lis dans mon fauteuil, un mouvement devant les yeux, égarement, émerveillement : les grands oiseaux viennent de s’envoler dans le squelette de l’arbre. Tant de grâce, il faut l’immortaliser ! Le temps de saisir l’appareil photo et c’est trop tard. Lecture. Agacement. Je veux les fixer, si belles dans tout ce blanc, plus belles que les grues japonaises, que tous les oiseaux de la création puisqu’elles sont là, en face de moi, je veux pouvoir me gaver de ces traits de pinceaux miraculeux lorsqu’elles seront noyées dans la verdure au printemps.
Elles se trouvent vers les pommiers maintenant, picorent les pommes au sol. Je sors avec l’appareil, ajuste l’objectif : elles vont bien finir par s’envoler ! Il fait froid, je songe aux photographes animaliers tapis dans la neige qui nous offrent des instantanés de la vie animale. Tant pis, je rentre.
Tout le matin elles m’agacent, me narguent, me gâchent ma lecture. Me fascinent. En silence. Ces pies que l’on dit bavardes se taisent toujours.