L’ovale parfait de son visage, la finesse sidérante de ses traits : sourcils et bouche parfaitement dessinés, nez grec, pourraient la transformer en icône de magazines du monde occidental mais elle est figée dans la pierre depuis près de mille ans.
Le tailleur de pierre a rendu la lenteur de la danse, prodige d’équilibre, rotation à droite, puis à gauche, puis de nouveau à droite où il a saisi le mouvement et figé pour l’éternité ce demi-sourire et ces yeux clos. Il a capturé la petite épouse de Vishnou dans sa gangue de pierre, main droite relevée, serres recourbées des ongles pointus, bracelets au niveau des biceps du bras droit, triple rang de colliers et lourde boucle d’oreille, couronne très travaillée. La petite apsara, danseuse sacrée, est parée pour la séduction.
Elle a été choisie par les prêtres pour la perfection de son corps et sa façon de marcher, tête immobile et grâce infinie. Elle est partie sans un mot, sans bagage, le temple pourvoirait à tous ses besoins, c’était un honneur, un grand honneur. Toute droite, entre les deux robes safran, avec la pluie qui coulait sur son visage et lavait ses larmes.
La vie au temple avec les autres élues, toutes filles du peuple d’une très grande beauté, perfection de la peau et du corps : ablutions rituelles et pureté obsédante, complicité et dureté de l’apprentissage. Ne pas parler. Ne pas lever les yeux. Psalmodier les prières au milieu de la nuit pour briser l’enveloppe corporelle et fragiliser l’identité. Les exercices rituels, pendant des heures, jusqu’à ce que l’une des petites épouses de Vishnou tombe d’épuisement. La longueur des pas. La position des pieds. Celle des doigts. Les élongations, assouplissements, torsions jusqu’à la douleur extrême. Mais aussi l’écriture, la lecture, l’initiation aux textes sacrés. Sept ans pour apprendre la langue sacrée, pour accomplir chaque geste, chaque enchaînement de mouvements à la perfection. Sept ans avant que tout son être connaisse le langage de Vishnou, que chaque expression de son visage ou rotation de son corps soit parfaite.
Comme elle est troublante ! Poitrine nue et bras en mouvements, voilage dévoilant ses cuisses parfaites, de lourdes broderies masquant son entrejambe, le sculpteur a reproduit toute l’ambigüité de la danse sacrée : la petite épouse de Vishnou est offerte au dieu à travers une communication érotique où les hommes servent d’intermédiaire.
Et nous voyageurs, en face d’elle, si belle, si vivante, elle dont on croirait entendre tinter les feuilles d’argent autour de sa taille et se soulever le voile sur son intimité, nous voilà plongés dans une culture qui nous échappe totalement.
C’est vrai qu’elle est troublante, cette petite danseuse de pierre. Sans me tromper, je pense que je n’atteindrai jamais sa longévité, mais j’apprécie ce passage de témoin que nous fait ce sculpteur pour magnifier l’art de la danse de son pays.
Bravo pour la description de chef-d’œuvre. Du grand art, aussi.
Merci Belle fin de journée.
Amicalement.
Roger
Merci Roger!
En fait nous tournons toujours autour de la notion d’art, que ce soit en photo ou ailleurs, une volonté d’immortaliser la grâce de l’instant dans la densité de la pierre ou l’immatérialité d’un support périssable.