Un jour de blues je me suis souvenue d’une jeune femme de ma connaissance qui me dit relire un passage de Lovita quand ça ne va pas fort. Cela la fait tellement rire qu’avoir actionné ses zygomatiques diminue l’angoisse.
Lovita broie ses couleurs est un roman que j’ai publié il y a une dizaine d’années dans une édition numérique où je devais toucher des droits d’auteur à partir du 50ème exemplaire. Le compteur s’est hélas bloqué à 49, et n’ayant pas apprécié ce coup du sort j’avais résilié mon contrat.
Ce roman m’avait valu des courriers drolatiques, enthousiastes ou franchement ambigus. Un homme en particulier, qui a suscité chez moi un malaise profond ; « elle me manque déjà », concluait-il.
J’ai relu mon roman. Et j’ai ri, mais ce que j’ai ri !
Pourtant l’argument ne prête pas franchement à la rigolade : Lovita est une jeune femme peintre qui a connu une enfance style Cosette exotique avec mère complètement folle, prostituée de surcroît. Violée à seize ans la voilà qui se retrouve avec un petit Martin qui veut connaître son père sur les bras. Rassurez-vous le tableau s’éclaircit autrement le rire serait provoqué par la perversité du lecteur (…et de l’auteur).
Tout d’abord Lovita est une grande artiste. Ensuite elle rencontre son ange gardien, Martha, galeriste de métier et obèse exploitable jusqu’à plus soif de son état. Lovita est aussi une force de vie à la conscience morale élastique et au physique ravageur. Autant dire que Martha ne sera pas la seule personne exploitée mais que nombre d’hommes parsèment son chemin de petits cailloux… et même une psy qu’elle finira par rouler dans la farine.
Le rire est niché dans ce décalage entre une personnalité borderline et tous ceux qui l’approchent, entre sa compréhension du monde et la réalité commune, dans sa roublardise et sa naïveté.
J’ai relu mon roman, donc, et après avoir beaucoup ri, j’ai réfléchi. Et si je publiais ce roman, à titre personnel, en édition numérique mais cette fois en ayant le pouvoir, comme ma Lovita ? Et si un plus grand nombre de lecteurs pouvait à son tour actionner ses zygomatiques ?
Emouvoir est facile, et je n’ai pas pu me retenir dans certains passages, mais faire rire ? Les romans cyniquement optimistes, jubilatoires et cruels ne courent pas les têtes de gondole.
J’ai repris le roman, raccourci les entretiens avec la psychiatre que les services sociaux imposent à Lovita, rajouté un cauchemar qui est un pur délice, trouvé une fin réjouissante et amorale pour remplacer la précédente, un peu trop rose bonbon.
J’adore ce genre de lecture parce qu’on ne rit pas souvent et que moi même je n’arrive pas à faire autrement qu’en me ridiculisant 🙂 Vous êtes une femme de talents variés, Nicole, j’attends des nouvelles de votre Lovita et des petites soeurs que vous pourriez lui donner !
Et voilà les nouvelles que vous attendiez, Saravati! Je vous promets que vous allez rire, être émue, et plutôt heureuse que Lovita retombe sur ses pattes: c’est ce qu’on appelle la résilience…