La suppression des notes : poudre de Perlimpinpin

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ceridwen [CC BY-SA 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia CommonsEt voilà que cela recommence: on s’écharpe dur entre partisans et opposants des notes à l’école.

Et si c’était cosmétique, une façon d’agiter les médias et d’angoisser les parents d’élève ? Et si c’était une manière très économe de détourner la population du vrai défi de ce XXIe siècle à savoir la mondialisation de l’éducation et la manière d’y répondre pour que nos enfants ne soient pas hors course ?

Parlons d’abord des notes, puisque c’est ce qui suscite tant d’émotion…

Je vais vous donner l’exemple de l’enseignement genevois où des experts français viennent expliquer (dans des séminaires grassement payés) aux autorités et aux enseignants comment faire évoluer l’éducation des petits Genevois. Le Département de l’Instruction Publique (DIP) s’est toujours montré fort réceptif aux arguments de tous bords. Un petit rappel : les élèves genevois sont notés de 1 à 6, la moyenne se situant à 3,5 ou 4 selon les degrés d’enseignement. Les enseignants ont donc abandonné un temps la notation qui traumatisait leurs élèves pour passer à une notation par lettre A, B, C. Mais les élèves ne s’y retrouvaient pas, habitués qu’ils étaient à la notation ; ils demandaient : « Mais c’est un B – ou un B + ? » Quand cela a tourné au A++ (comme la notation actuelle de l’économie des états) le DIP est revenu aux notes.

A titre personnel j’ai vécu en France en tant qu’élève ce même système de notation après mai 1968… avant qu’il soit abandonné.

Les élèves ont besoin de se situer, ils ne se trouvent pas dans le monde des Bisounours et ils le savent. Observez de près la cours de récréation d’une école maternelle, vous verrez alliances et exclusions, loi du plus fort qu’il faut canaliser. Cela ne s’améliore pas, on s’en doute, dans les degrés suivants. Les notes, c’est un pis aller, une facilité pour tout le monde. Imaginez un bulletin comprenant trois pages d’acquis, en cours, non maîtrisés, à consolider, etc… Vous imaginez la perplexité des parents ? Et celle des enfants, incapables de se situer dans le groupe ?

Je ne suis pas en train de défendre la note ; j’ai enseigné très longtemps et j’ai pu constater les dégâts qu’elle peut causer. J’ai manié à l’occasion des accommodements avec celle-ci parce que je n’avais aucune illusion sur la part de subjectivité du chiffre que je mettais en haut de la feuille avec mes observations. Le miracle d’une copie tellement au-dessus de la note qu’attend l’enfant, le tout assaisonné d’une énorme dose de compliments style « Je savais qu’à un moment tu montrerais ce que tu sais faire ! » pouvait opérer des miracles. La confiance en soi. La façon de donner cette confiance éteinte par des décennies de la fameuse courbe de Gauss.

On expliquait aux jeunes enseignants qu’une bonne notation d’une série de copies devait ressembler à une courbe de Gauss, avec le même nombre de têtes qui dépassent et de têtes coupées, c’est-à-dire que quel que soit le niveau de réussite des élèves le résultat était le même… Magnifique émulation !

La note n’est pas non plus un mal nécessaire : en Finlande, pays régulièrement en tête des enquêtes PISA dont je reparlerai une autre fois, la notation des élèves n’intervient qu’à l’âge de quatorze ans à des fins d’orientation. Si l’école finlandaise réussit si bien à ses élèves, c’est que c’est un projet de société mis en place depuis quarante ans et que le socle de ce projet c’est la confiance.

Confiance envers les enseignants qui sont très soigneusement sélectionnés pour leur intérêt vis à vis des enfants et ensuite très bien formés. Pas de choix négatif parce qu’avec des études de lettres il ne reste que l’enseignement comme dans beaucoup de pays… Une fois leur formation terminée (niveau master), les enseignants bénéficient d’une grande liberté dans leur classe située dans des établissements petits et très autonomes. Une précision importante : ils ne sont pas inspectés et donc pas notés.

Confiance envers les enfants qui sont pris en charge de manière individualisée et qui apprennent à leur propre rythme dans un tronc commun obligatoire de sept à seize ans.

Un choix de société où l’école se veut le miroir de ce que cherche l’état : une société où chacun trouve sa place. N’est-ce pas ce à quoi tout le monde devrait réfléchir, du ministère de l’éducation nationale à la FCPE, de nos ministres aux citoyens qui ont le pouvoir du vote et l’oublient souvent. Une société où on ne rabote pas les enfants pour le faire entrer dans le moule impossible et imbécile de l’élève moyen. La moyenne, ce cauchemar pire que la note !

Continuons à nous écharper autour du problème de la notation plutôt qu’à réfléchir à la manière de contribuer à l’épanouissement et à l’éducation de futurs citoyens qui seront confrontés à des défis dont on peine encore à imaginer l’importance. Le choix politique d’une école plus égalitaire et plus performante ne passe pas par cette poudre de perlimpinpin mais par des décisions autrement plus ambitieuses.

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