La conjuration des imbéciles, odyssée foireuse

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conjuration des imbécilesLes frères Cohen ont-ils lu La Conjuration des Imbéciles avant de créer le personnage du Dude dans The Big Lebowski ? La postérité de ce livre hénaurme, dérangeant, drôle et triste à la fois n’en finit pas de surprendre plus de trente ans après sa parution.

John Kennedy Toole s’est suicidé à 31 ans en 1969 par désespoir de voir son livre refusé par tous les éditeurs. Dix ans plus tard sa mère a obtenu que cette injustice soit réparée, mettant en branle un immense mouvement conduisant le livre de son fils jusqu’au prix Pulitzer en 1981 et à un incroyable succès de librairie !

La Conjuration des imbéciles doit son titre à une citation de Jonathan Swift mise en exergue au début du roman :

« Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui.

Je ne suis pas sûre qu’Ignatius J. Reilly, étudiant en littérature médiévale hypocondriaque vivant chez sa mère alcoolique soit un génie, mais ses démêlés avec tout ce qui constitue la Nouvelle-Orléans des années soixante : chrétiens fondamentalistes, beatniks, policiers, « communiss » etc. nous donne un portrait désopilant et scatologique du Sud de l’Amérique.

— Ignatius ! s’écria Mme Reilly, tragique. Chaque jour c’est à croire que tu deviens encore pire ! Que t’arrive-t-il ?

— Va donc chercher ta bouteille dans le four. Elle doit être à point.

Mme Reilly lança à son fils un regard en dessous et lui demanda :

— Ignatius, t’es bien sûr de pas êt’communisse ?

— Oh, Seigneur Dieu ! Beugla Ignatius. Chaque jour je suis soumis à une chasse aux sorcières maccarthyste dans cette bâtisse croulante ! Non ! Je te l’ai déjà dit ! Je ne suis pas un compagnon de route.

Et l’histoire avance, dans un langage chaloupé où les mots de la Nouvelle Orléans (chapeau bas monsieur Carasso pour la traduction !) enrobent de hot dogs bouillants les conversations déglinguées des protagonistes.

A la guinguette de Mattie, Jones emplit son verre de bière et enfonça ses longues dents jaunes dans la mousse.
— Cette bonne femme, là, Lana Lee, ne traite pas comme il faut, Jones, était en train de lui dire M. Watson. Si y a quèque chose qu’j’aime pas voir, c’est bien un homme d’couleur qui s’moque sa propre couleur. Et c’est ça qu’a t’fait faire en t’costumant en nègre du bon vieux temps des plantations, pas aut’chose !
— Oua-ho ! Les négros comme nous, on s’fait déjà assez chier comme ça sans qu’les gens en pusse y viennent nous charrier pasqu’on est noirs. Merde alors. Ma conn’rie, ç’a été d’dire à c’enfoirée d’Lee qu’les flicards m’avaient dit d’trouver un boulot.

Le boulot, le travail, le mot maudit, les fourches caudines sous lesquelles la mère d’Ignatius aimerait bien le voir passer pour

 affronter l’ultime perversion : ALLER AU TRAVAIL

Notre génie obsédé par son flux gastrique est placé sous la figure tutélaire menaçante de sa mère avec qui il a des disputes homériques. Ignatius méprise l’humanité entière et draine une cohorte de bras cassés dans son sillage. Quel monde ! Quelle agitation dans cette cour des miracles américaine où les aventures en eau de boudin de ces marginaux pittoresques nous font rire, d’un rire teinté d’un soupçon de tristesse et d’angoisse.

Ce n’est pas la dernière pirouette du destin que ce livre refusé par tout le monde décrivant des perdants déphasés soit devenu une success story à l’américaine.

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2 réflexions sur « La conjuration des imbéciles, odyssée foireuse »

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Je comprends vos réticences: il faut accepter de s’immerger dans un monde à priori plutôt rebutant par ses réactions primaires, le langage aussi peut constituer un obstacle; mais une fois les trente premières pages lues, c’est difficile de s’arrêter. Il n’y a jamais d’obligation de lire un livre, il y en a tant qui exercent leurs séductions!

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