La trajectoire de la psychiatrie dans les âmes blessées de Boris Cyrulnik

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Les âmes blesséesLa quatrième de couverture des Mémoires du célèbre neuropsychiatre éthologue rend très bien compte du contenu de ce livre émouvant, drôle parfois et souvent critique vis-à-vis de l’institution médicale et de ceux qui la font :

À cause de la guerre, du fracas de mon enfance, j’ai été très jeune, atteint par la rage de comprendre. J’ai cru que la psychiatrie, science de l’âme, pouvait expliquer la folie du nazisme.

J’ai pensé que le diable était un ange devenu fou et qu’il fallait le soigner pour ramener la paix. Cette idée enfantine m’a engagé dans un voyage de cinquante ans, passionnant, logique et insensé à la fois. Ce livre en est le journal de bord.

Pour maîtriser ce monde et ne pas y mourir, il fallait comprendre ; c’était ma seule liberté. La nécessité de rendre cohérent ce chaos affectif, social et intellectuel qui m’a rendu complètement psychiatre dès mon enfance.

Cinquante ans d’aventure psychiatrique m’ont donné des moments de bonheur, quelques épreuves difficiles, le sentiment d’avoir été utile et quelques méprises. Mon goût pour cette spécialité est un aveu autobiographique.

Le reste de la quatrième de couverture résume l’histoire de la psychiatrie dont on oublie à quel point cette spécialité a évolué rapidement. La description de la visite d’un service parisien en 1966  au début de l’ouvrage résume à elle-seule cette évolution :

« Voulez-vous faire la visite avec moi ? » Nous sommes partis, accompagnés par deux infirmiers dont l’un avait les yeux pochés. À la main, il (Jean Ayme chef de service à l’hôpital de Clermont-de-l’Oise, dans la banlieue parisienne) tenait un énorme trousseau de clés. A chaque porte, il fallait tâtonner pour ouvrir, ici sur une salle, là sur une cour. Nous étions scrutés par des malades hostiles et silencieux. Quelques-uns déambulaient en marmonnant. Jusqu’au moment où nous sommes arrivés aux dortoirs : trois grandes pièces parallèles débouchant sur un même couloir. Les infirmiers ont fait sortir les malades de la première salle et, pendant qu’ils étaient dans le couloir, ils ont enlevé à la fourche la paille qui composait la litière de ces hommes. D’un coup de jet d’eau, ils ont lavé le sol puis remis une couche de paille fraîche. Ils ont fait rentrer les malades et sont passés à la salle suivante.

On traitait les malades mentaux comme des bestiaux il y a moins d’un demi siècle. Les progrès ont été jalonnés d’épisodes marquants : des électrochocs et autres lobotomies à la découverte des neuroleptiques et à l’ouverture de l’hôpital, Boris Cyrulnik rend compte de ce qu’il a vu et des améliorations auxquelles il a participé pour que l’on puisse soigner au mieux les âmes blessées du titre de l’ouvrage.

Ces Mémoires d’un neuropsychiatre très médiatisé sont avant tout celles d’un Honnête homme qui ne cache ni ses blessures ni ses fragilités tout en se montrant parfaitement pudique sur sa vie privée. La mention de sa femme qui l’accompagne lorsqu’il quitte la capitale, celle de sa fille dont un malade adore prendre la menotte dans sa grande main, de rares anecdotes comme celle du malade ravi de nourrir la petite famille tous les soirs avec une truite volée dans le vivier d’un restaurateur local et c’est tout. Le livre se concentre ailleurs, dans cette discipline qui se cherche, se fourvoie parfois, évolue au gré des découvertes pharmacologiques et de ceux qui la font évoluer. Le tableau n’est pas toujours flatteur : médecins et étudiants qui ne contemplent la souffrance des malades qu’à travers le prisme de leur idéologie et de leur ambition personnelle, chercheurs isolés par le conformisme ambiant. Le zeste de cruauté (involontaire ?) dans certains portraits des zélateurs de Lacan par exemple fait vraiment sourire mais l’auteur ne croque personne à belles dents et montre beaucoup de tendresse pour la plupart des gens dont il parle comme Gérard Mendel par exemple :

En 1942, alors âgé de 12 ans, il avait vu son père, juif, arrêté par deux gendarmes amis de la famille. L’enfant n’en revenait pas. Il n’en est jamais revenu d’ailleurs, puisque toute son œuvre a cherché à expliquer cet étrange phénomène : il est donc possible d’éprouver comme un devoir le fait de se soumettre à un ordre qui condamne à mort un ami innocent !

Le troisième et dernier chapitre intitulé Une histoire n’est pas un destin nous parle de résilience, à la fois le concept qui s’est imposé malgré les réticences de certains membres de la faculté et l’exemple lumineux de sa réalité dans la propre vie de l’auteur tant il est vrai que Boris Cyrulnik pratique ici l’aveu autobiographique de la quatrième de couverture.

Ce beau livre plein de la souffrance des malades, de rires et de combats, ce livre peuplé d’êtres généreux qui aiment soigner et de quelques autres engoncés dans leurs certitudes vous séduira par le formidable message d’espoir qui a porté son auteur tout au long de sa carrière : on peut se relever, se reconstruire après avoir été dévasté si l’environnement social et affectif le permet. Merci docteur Cyrulnik pour ce beau message d’espoir.

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4 réflexions sur « La trajectoire de la psychiatrie dans les âmes blessées de Boris Cyrulnik »

  1. Eric

    Aujourd’hui avec les recherches en neuroscience ont comprend de mieux en mieux les mécanismes cérébraux et les traitements que l’on peut y apporter. Cela permet de confirmer certaines intuitions ou démentir certaines affirmations sur les méthodes de soin dans le passé.
    Votre présentation de ce livre Nicole m’a fait penser à une émission visionnée il y a quelques temps, avec cette belle rencontre entre deux hommes Boris Cyrulnik et Alexandre Jollien.
    https://www.youtube.com/watch?v=_X92-sShaEY

    1. Nicole Giroud Auteur de l’article

      Je n’ai pas vu l’émission dont vous parlez mais j’ai fait la critique de plusieurs livres d’Alexandre Jollien, magnifique exemple de courage, d’intelligence et de résilience.

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