Après Cour Nord aux éditions du Rouergue, Antoine Choplin publie Le héron de Guernica dans la même maison.
Si vous avez aimé Cour Nord vous retrouverez la même intensité dans l’écriture mais vous changerez de media artistique, de pays et de lieu.
L’histoire se passe à Guernica, la ville espagnole martyre, juste avant que les avions allemands s’exercent grandeur nature sur la petite ville, en avril 1937.
Le jeune Basilio vit de petits travaux agricoles mais sa vraie passion, c’est la peinture et son seul sujet les hérons cendrés. Il les attend patiemment dans les marais de Guernica, essaie de reproduire la vie qui sourd des beaux échassiers. La guerre est là, Basilio a essayé de s’enrôler chez les républicains qui n’ont pas voulu du « peintre ».
Basilio peint, va au bal, s’occupe de son oncle, vend ses haricots et son cochon, il est amoureux de Celestina qui travaille à l’usine de confiserie mais rêve de travailler dans la mercerie de sa tante.
Tout une humble vie, quotidienne et paisible, occupe la première partie du roman, avec quelques soldats fatigués ou blessés qui traversent l’espace comme un avertissement.
Basilio se rend dans le marais ; il veut peindre un héron pour Celestina.
« D’abord, c’est juste un faible ronronnement au lointain. Il voit le héron qui fait quelques pas nerveux vers l’arrière jusqu’à disparaître parmi les roseaux.
Lentement, le bruit s’intensifie et change de texture. Gagne dans les graves.
L’avion vole à très basse altitude. En un instant, il est juste au-dessus du pont et du marais. Basilio remarque le frémissement des eaux. En même temps, il se couvre les oreilles de ses deux mains et résiste à l’envie de se plaquer au sol ».
Basilio ne comprend rien à ce qui se passe : « Les yeux fermés, il goûte la polyphonie joyeuse des chants d’oiseaux ».
La compréhension vient peu à peu, avec le ballet des avions allemands Heinkel sur la ville de Guernica : « Là-bas, les coups portés sur la ville, à lui briser les os ».
Comment raconter l’Apocalypse ?
Antoine Choplin recourt à l’art pictural : il joue sur les codes et la description d’un des tableaux les plus célèbres de Picasso, Guernica et les compare à ce que voit et vit Basilio.
Le taureau Minotaure de Picasso s’oppose aux « taurillons étincelants » : « Ils avancent la gueule ouverte, agités de fréquents soubresauts et produisent des mugissements rauques et irréguliers. L’un d’eux est tout entier enveloppé d’un halo clair qui dissimule la netteté de ses contours ». Ils ont pris feu.
Avant que son église soit détruite, le Père Eusébio demande à Basilio de prendre des photos pour montrer au monde ce qui vient de se passer, ce sont les « éclairs blancs » de la dernière partie. Autre référence à Picasso qui a vu les photos de Guernica en flammes et qui a peint son tableau en noir et blanc, comme un témoignage photographique.
L’usine de bonbons où travaillait Celestina a été bombardée, c’est la blessure dont ne se remettra pas Basilio.
Ce beau roman connaît une unité de temps, entre la fin avril et le 25 mai 1937 au moment de la présentation du tableau dans le pavillon qui représente l’Espagne à l’Exposition universelle de Paris.
L’espace tourne en boucle : le roman commence à Paris où Basilio est venu voir Guernica, revient à Guernica pour se conclure à Paris. Entre les deux, Basilio a vécu l’horreur de la guerre et ses déchirements, Picasso a peint ce qu’il n’a pas vu mais il l’a rendu sensible au monde entier.
La rencontre entre les deux artistes n’a pas vraiment lieu.
« Il songea au héron. / A sa reculade à lui, dans le lointain de la roselière. / A sa blessure silencieuse. / Au sang écoulé, irisant la surface des marais. »
Deux artistes. Deux témoins, chacun à leur manière, de la violence de ce qui s’est passé ce jour-là, à Guernica.
Très intéressant! Merci pour cet excellent post.