Léonarda: la version actuelle de la dent d’or

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Vous vous rappelez le texte de Fontenelle que vous avez étudié au lycée ? Mais oui, souvenez-vous, cette histoire d’une dent en or venue à un enfant à la place de ses dents… Et chacun d’y aller de son explication savante avant de vérifier la véracité du fait.

Toutes les réactions concernant l’expulsion de la jeune Léonarda me font penser à ce texte : les uns s’indignent, les autres approuvent, mais personne ne sait exactement ce dont il retourne. Cette petite que l’on arrache de l’école, comment peut-on, oui, comment peut-on ? Abomination ! Cœur de pierre ! Les   polémiques autour de notre ministre de l’Intérieur se déchaînent de plus belle.
Mais qui a vérifié les faits ? Qui a regardé le dossier de cette famille rom dont on commence à connaître tous les problèmes qu’elle a causés en Italie ? Qui a comptabilisé le nombre incroyable des  absences de Léonarda à l’école ? Et son parcours scolaire ? La mendicité à la place des cours ? Qui a vérifié les conditions dans lesquelles la jeune Rom a été appréhendée pour rejoindre sa famille ?
Je pense qu’avant de susciter une telle tempête – alors que des cas beaucoup plus dramatiques n’ont pas été médiatisés – on ferait bien de méditer le texte de Fontenelle, Histoire des oracles, Première dissertation, chapitre IV (1687).
Le voici :

« Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait, mais enfin nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point.
Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d’Allemagne, que je ne puis m’empêcher d’en parler ici.
En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d’or, à la place d’une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l’Université de Helmstad, écrivit en 1595 l’histoire de cette dent, et prétendit qu’elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu’elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les Chrétiens affligés par les Turcs. Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux Chrétiens, ni aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d’or ne manquât pas d’historiens, Rullandus en écrit encore l’histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d’or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme nommé Libavius ramasse tout ce qui avait été dit de la dent et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la dent était d’or. Quand un orfèvre l’eut examinée, il se trouva que c’était une feuille d’or appliquée à la dent avec beaucoup d’adresse; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l’orfèvre.

Rien n’est plus naturel que d’en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux. »

Bernard Le Bovier de Fontenelle, Histoire des oracles, Première
dissertation, chapitre IV (1687).

 

 

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