Le monde lucide et cruel d’Alice Munro

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FugitivesAlice Munro a obtenu le prix Nobel de littérature cette année 2013, mais avez-vous lu les nouvelles de la Canadienne, avez-vous pénétré dans son monde cruel et quotidien, dans la vie de ces femmes qui reflètent toutes les femmes, à tous les âges de la vie en un terrible effet miroir ?

Le recueil « Fugitives » porte le titre de la première nouvelle, «Runaway» en anglais pour le titre original et reflète parfaitement la thématique récurrente de l’ensemble.

Chaque personnage principal est féminin, de la petite chèvre blanche et de la jeune femme de la première nouvelle à l’handicapée capable de lire l’avenir de la dernière. Le recueil est peuplé de femmes qui fuient. L’affection de leurs parents, un conjoint envahissant ou décevant, une vie trop bien programmée. Elles font du mal à ceux qui les aiment par leur silence, aucun éclat de voix ou de geste violent, rien que de la retenue et de la fuite, comme si elles ne pouvaient se coltiner à la réalité et lui régler son compte.

L’autre fil conducteur de ces nouvelles, après la fuite, ce sont les malentendus et le ratage de vies à cause du hasard et des non-dits.

Cela vous semble triste ? Vous avez raison, mais quelle cruauté jubilatoire dans la description !

Dans Pouvoirs par exemple, quand l’héroïne, devenue vieille et veuve rencontre par hasard un des personnages importants de sa vie :

« Elle se lança donc sur le sujet de la croisière. Elle dit qu’elle n’en ferait plus jamais, dût sa vie en dépendre. Ce n’était pas le temps, encore qu’il ait été mauvais en partie, avec plue et brouillard empêchant de voir le paysage. Ils en avaient vu assez, à vrai dire, plus qu’il n’en fallait pour une vie entière. Montagne après montagne, île après île, et rochers et eau et arbres. Tout le monde se récriant, n’est-ce pas prodigieux ? N’est-ce pas sensationnel ?

Sensationnel, sensationnel, sensationnel. Prodigieux.

Ils avaient vu des ours. Ils avaient vu des phoques, des otaries, une baleine. Tout le monde prenant des photos. En nage et pestant, craignant que leurs luxueux appareils flambant neufs ne fonctionnent pas bien. Puis à terre, la ballade dans le célèbre chemin de fer jusqu’à la célèbre ville de chercheurs d’or et encore des photos et des figurants habillés comme à la Belle Epoque, et que faisaient la plupart des gens ? La queue pour acheter des caramels.

Les chansons dans le train. Et à bord, l’alcool. Pour certains, dès le petit déjeuner. Les cartes. Le jeu. Bal tous les soirs, avec dix vieilles pour un vieux.

Nous, tout enrubannées, frisées, pailletées, enchoucroutées comme des chienchiens pour une exposition canine. J’aime mieux vous le dire, la concurrence était féroce. »

 

Les nouvelles d’Alice Munro ne ressemblent en rien à celles qu’on a l’habitude de lire sous nos contrées, où l’auteur condense une histoire et où la chute est déterminante. Ici nous sommes plongés dans une atmosphère, pas de schéma narratif linéaire, plutôt un tissu impressionniste où la vie se déroule comme dans la réalité, en un patchwork d’actions et décisions dont le sens n’apparaît que de loin, et pas toujours. Pendant que la vie passe et que tout s’effiloche dans une attente dont les personnages ne perçoivent pas la finalité.

Ces nouvelles à l’écriture fluide, presque blanche, avec ses descriptions d’une acuité visuelle rare, son acidité parfois, m’ont touchée au-delà de ce que je peux écrire : l’impression que la vie se déroule devant moi avec une clarté inexorable, ma vie, la vie de toutes les femmes.

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2 réflexions sur « Le monde lucide et cruel d’Alice Munro »

  1. Chesnel Jacques

    très bon papier Nicole sur cette écrivain dont j’ai déjà lu nombre de ses livres sans être jamais déçu, mais effectivement « Fugitives » me semble le meilleur
    merci de votre commentaire sur « Marie, en bas »… les commentaires sont fermés sur le site de Clopine, vous pouvez toutefois lui écrire à « clopine.trouillefou@gmail.fr
    amicalement
    Jacques C

Les commentaires sont fermés.