Le Sud des Etats Unis des années 30 et le racisme, la religion, les petits blancs, les noirs nonchalants: les nouvelles de Flannery O’connor se lisent comme du Faulkner à la sauce féminine, la même violence mais du poison dans le potage plutôt que coup de poing dans l’estomac.
Le titre anglais extrait d’une phrase de la première nouvelle du recueil me parle plus : « A good man is hard to find ». Un homme bon est dur à trouver. Manifestement, durant sa courte vie, Flannery O’Connor a échoué dans sa recherche. Elle aurait pu ajouter « A good woman and a good child too » parce que les femmes et les enfants ne suscitent pas plus d’indulgence. Dans ses nouvelles elle projette son jus acide sur tous les âges et les sexes avec une égale jubilation : pas de quartier pour l’humanité.
Quant aux rapports entre mère et fille, c’est du concentré : dans Braves gens de la campagne, la fille unijambiste obligée de vivre à la ferme de sa mère (comme Flannery après la découverte de sa maladie), ne brille pas par ses sentiments filiaux :
« Son vrai prénom était Joy, mais, dès qu’elle était devenue majeure et avait quitté la maison, elle l’avait fait changer légalement. Mrs Hopewell était certaine qu’elle s’était creusé la tête nuit et jour jusqu’à ce qu’elle découvre le nom le plus laid de toutes les langues. Alors elle avait abandonné le joli nom de Joy, sans en prévenir sa mère : son prénom officiel était maintenant Hulga.
Ce nom évoquait dans l’esprit de Mrs Hopewell quelque hideux cétacé des mers glaciales. Elle se refusait à le prononcer. Elle continuait de l’appeler Joy et l’autre répondait, mais par pur automatisme. »
Les enfants, même très jeunes, se montrent arrogants ou malfaisants, comme dans Un cercle de feu ils ne provoquent aucune tendresse mais au mieux de l’irritation, au pire un malaise et de la peur.
La plupart des titres sont férocement ironiques, voire antithétiques : Les braves gens ne courent pas les rues met en scène un féroce assassin évadé de prison, Un heureux événement nous parle de la grossesse d’une femme qui refuse de toutes ses forces l’idée même d’enfanter, Les temples du Saint-Esprit deux adolescentes à la bêtise confondante, Braves gens de la campagne un jeune pervers déguisé en vendeur de bibles naïf, etc.
Tout n’est que conflit sournois, bavardages imbéciles de dames patronnesses où se distillent ennui, vacuité, cruauté, crimes épouvantables. Et on rit ! On rit ! Ce jeu de massacre est un véritable concentré de vie et de vacherie, un shaker où miss O’Connor a savamment dosé les ingrédients, un mélange d’horreurs et d’observations. Nous sommes dans l’Amérique raciste des petits blancs où la différence de ceux-ci avec les ouvriers agricoles noirs qui ne sont plus esclaves est ténue. Une affaire de degré, mais vitale. Et chacun essaie de rouler celui qui lui est immédiatement supérieur, quitte à fomenter des alliances allant jusqu’au crime le plus atroce, comme dans La personne déplacée, lorsqu’on sent une menace sur sa sécurité.
Flannery O’Connor : encore une écrivaine du Sud des Etats-Unis, décédée à moins de quarante ans en 1964 d’un lupus érythémateux, comme son père. Une vie brisée par la maladie, avec la connaissance intime de l’inéluctable ; à l’annonce de la nouvelle, l’écrivain prometteur et fêté revient vers sa mère et ne quittera plus la ferme familiale, fascinée par la beauté de ses paons magnifiques.
La douleur rend meilleur, dit-on. A moins qu’elle n’exacerbe les dons d’observation de celui que la souffrance contraint à l’inaction. Contrairement à Carson Mc Cullers, pas de musique des mots ni d’empathie pour l’humanité mais de l’acide, du concentré qui dissout les apparences et sculpte une humanité peu reluisante : lâche, bête, cruelle.
Et si drôle. Si férocement drôle.
c’est une écrivaine que je relis souvent… il existe un livre indispensable qui comprend TOUTE son œuvre : Quarto/Gallimard (avec bio et photos)… merci Nicole